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LE PRINCE (EL PRÍNCIPE) de Sebastián Muñoz : rapports de force et tendresse en prison

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Rapports de force et tension sexuelle en prison dans le Chili du début des années 1970 : c’est le menu fort alléchant du film El Príncipe de Sebastián Muñoz. Une claque à l’homoérotisme débordant.

Chili, 1970. Le film s’ouvre sur Jaime (Juan Carlos Maldonado), jeune homme à la beauté lisse et au regard sombre, en état de choc alors qu’il réalise qu’il vient d’assassiner un homme dans un bar. Il se retrouve envoyé en prison. Dès son arrivée dans sa cellule, il attire l’attention d’un homme d’âge mur surnommé « L’Étalon » (Alfredo Castro). Ce dernier lui demande de se déshabiller et charge son ancien jeune favori de laver les affaires du petit nouveau. Pas besoin de l’exprimer avec des mots : Jaime comprend qu’il a devant lui celui qui va devenir son protecteur, à la condition qu’il joue le jeu et lui donne ce « respect » qu’il exige.

Peu bavard lors de son entrée en prison mais observateur, Jaime comprend rapidement les jeux de pouvoir qui se tiennent entre les détenus. La majorité des hommes semblent ici s’adonner à l’homosexualité et de véritables couples se forment. Dans la cellule où il a été envoyé il y a donc L’Étalon, l’ancien « mignon » de ce dernier qui se voit négligé et deux trentenaires qui passent leur temps à se cajoler et qui font l’amour ensemble le soir sans pudeur alors que tout le monde les entend.

Surnommé avec jalousie « El Prìncipe » (« Le Prince ») par son jeune rival, Jaime, sa belle gueule et son jeune corps désirable, attire les regards. Il était habitué à jouer de sa plastique pour obtenir ce qu’il voulait  quand il était encore un jeune homme libre (il utilisait par exemple ses charmes pour se faire payer de beaux vêtements par une femme qui avait l’âge d’être sa mère), et il va découvrir que dans ce milieu carcéral son corps et sa belle apparence peuvent être des failles comme des forces.

Dès sa première nuit, il est invité dans le lit de l’Étalon et se fait violer. Il se laisse faire sans se débattre, comprenant que c’est le dur prix à payer pour survivre et avoir les faveurs de cet homme qui pèse auprès des autres détenus. Et il va même progressivement se prendre d’affection pour lui. C’est que, pour la première fois de sa vie, Jaime peut vivre son homosexualité au grand jour. Et que pour la première fois aussi il se sent désiré par des hommes, lui qui avait toujours vécu son homosexualité dans le déni, la douleur, la non-réciprocité.

Au détour d’une conversation, il confesse à l’Étalon qu’il n’a plus envie de partir de la prison. Il ne veut plus revoir le peu de famille qu’il lui reste et le monde extérieur ne l’intéresse plus. Dans cette prison, il devient réellement de jour en jour un petit Prince qui gagne en force et en assurance. Mais les moments de légèreté, les plaisirs sexuels et la camaraderie ne font pas oublier la dureté de ce lieu où surgit souvent sans crier gare l’ultra violence. Les jalousies s’aiguisent, les gardiens et gendarmes ne ratent pas une occasion d’humilier et violenter les détenus quand ils ne les laissent pas s’entretuer dans une totale indifférence voire un certain sadisme. El Prìncipe raconte le parcours de Jaime, son emprisonnement, son passage à l’âge adulte dans un environnement brutal, son éveil sexuel et la libération de son corps qui va avec .

le prince film

On ne va pas tourner autour du pot : Sebastián Muñoz délivre ici un grand film de cinéma. Si le contexte politique du Chili de 1970 est là et qu’on peut voir cette oeuvre comme une sorte de métaphore, cette adaptation d’une oeuvre méconnue de Mario Cruz est une véritable bombe d’homoérotisme à la mise en scène sublime.

Ça n’est pas du tout réaliste et franchement on s’en fiche car Sebastián Muñoz  a assez de talent pour nous faire croire dur comme fer à tout ce qu’il filme. Dans sa prison, les relations plus ou moins consenties entre les protecteurs et leurs favoris donnent lieu à des jeux de pouvoir et de séduction aussi captivants que torrides.

el principe sebastian munoz

el principe sebastian munoz

Alors que les flashbacks rappellent l’impossibilité des jeunes homosexuels de s’affirmer dans un Chili qui les oppresse, le présent dans la prison ressemble par moments à un gigantesque fantasme sur fond de jeux de domination-soumission. C’est peu dire que le réalisateur sait jouer avec la tension sexuelle (mention spéciale aux scènes de douche et en particulier celle avec un Gastón Pauls parfait en daddy pervers) et c’est ce qui fait de El Prìncipe une oeuvre complètement troublante, à la fois violente et poétique, impitoyable et érotique. La brutalité du monde carcéral et la cruauté de son personnel laisse place à des moments charnels abrasifs et des fragments de tendresse qu’on ne pensait pas possibles entre de pareils murs.

Ici chacun passe facilement du statut de dominant à dominé et inversement. L’imposant Étalon peut se retrouver pris pour cible par plus fort que lui tandis que les plus faibles peuvent s’avérer à terme plus dangereux et redoutables que les gros bras. Dans ce petit monde hors du temps, en vase clos, où règne la promiscuité, le jeune Prince va petit à petit gagner de plus en plus de pouvoir.

el principe sebastian munoz

Interprétation au top, mise en scène archi maîtrisée, univers faisant souvent penser à Jean Genet : El Prìncipe, avec un rare talent une réelle ambiguïté, mélange brillamment l’amour et la violence et fait jaillir la tendresse d’hommes au fond du trou. Un choc artistique à l’érotisme éclatant qui marque profondément.

Film présenté au Festival Chéries Chéris 2019 et disponible en DVD aux éditions Idaho Films et en VOD

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3