FICTIONS LGBT

ENFANTS DE DIEU de Kareem Mortimer : homophobie aux Bahamas

By  | 

Johnny (Johnny Ferro) est un jeune gay exilé aux Bahamas. Artiste peintre, il peine à faire ressortir sur ses toiles ses émotions. Son professeur lui propose un voyage sur l’île d’Eleuthera histoire de se confronter à lui-même, de se trouver. A peine arrivé, il fait la connaissance de Romeo (Stephen Tyrone Williams),  qui ne le laisse pas indifférent et qui devient rapidement un ami. Seulement ami ? Pas facile à dire. C’est qu’aux Bahamas, les associations homophobes sont légion, beaucoup considérant que l’homosexualité est un choix, un affront face aux valeurs religieuses très prisées. Ainsi, Lena (Margaret Laurena Kemp), femme tout à fait adorable, passe son temps à prêcher et à organiser des meetings pour éviter que le gouvernement ne légalise totalement l’homosexualité. Son pasteur de mari milite pour la même cause…même si en secret il va dans des bars gays pour se délivrer de certaines pulsions…Quand la foi conduit au rejet de certaines minorités, quand la morale générale nous transforme en personne haineuse, il n’est pas aisé de trouver sa vérité…

enfants de dieu kareem mortimer

Derrière les magnifiques paysages des Bahamas se cache bel et bien un enfer. Celui de l’intolérance. Le pauvre Johnny va en faire les frais en étant gay. On l’insulte ou le tabasse dans la rue, dans les médias il entend à longueur de journée les voix qui s’opposent à ce qu’il est…Pas facile de s’assumer et de s’épanouir dans ce contexte. Kareem Mortimer livre avec Enfants de Dieu un très joli film sous forme d’appel à la tolérance et si tout cela n’est pas bien neuf, il le fait avec une sincérité provoquant de grandes émotions. Le personnage principal interprété par Johnny Ferro est tout bonnement magnifique. C’est un « enchaîné ». Il a tout le temps l’air de s’excuser d’être là, son hésitation se perçoit même quand il marche. Il a la voix tremblante, le regard profond mais angoissé…Difficile de ne pas craquer face à cette immense fragilité, cette timidité que beaucoup ont pu connaître.

Johnny aura l’occasion de se libérer grâce à sa rencontre avec Romeo, un garçon des Bahamas en apparence plus à l’aise face à son identité, prenant la vie comme elle vient. Mais en apparence seulement. Car si dans l’intimité Romeo est très détendu, dès que sa famille débarque dans les parages, il endosse lui aussi le rôle de l’homophobe de service. C’est la grande tragédie de l’intolérance ambiante : l’homosexualité est tellement perçue comme quelque chose de mal que les gays eux-mêmes se détruisent entre eux, deviennent des ennemis, incapables d’assumer.

enfants de dieu kareem mortimer

Pourquoi tant de haine ? Comme le titre de l’œuvre le souligne, tous les personnages sont des enfants de Dieu. Mais, c’est bien connu, la religion, si apaisante puisse-t-elle être par moments, peut aussi se révéler être un poison quand elle est utilisée, interprétée, par des âmes mal intentionnées. Pour beaucoup, Dieu ne serait pas qu’amour. Au contraire, les textes sacrés pousseraient à une certaine haine vis-à-vis de ceux qui ne suivent pas la voix dictée de l’extrême pureté. On trouve dans le film un très beau personnage de prêtre qui apporte de la nuance : il dit avoir pris de la distance face à sa foi stricte, pour laisser entrer un peu d’humanité. Pour essayer de comprendre plutôt que de juger et de faire des généralités.

Autre thème très intéressant abordé : le fait que chacun puisse avoir souvent besoin de se défouler, de faire ressortir sa colère. Dire du mal de quelqu’un, d’une minorité, de quelque chose…c’est humain. Mais ce curieux et sale besoin pourrait nous entraîner à blesser des gens qui n’ont rien demandé, voire détruire leur vie. Face à un monde de haine, l’issue pour les opprimés est lointaine. Peut-être que la seule porte de sortie serait le rêve éternel…

Parfaitement interprété, très sensible, doté d’une mise en scène agréable (bien que parfois un peu artificielle), Enfants de Dieu est un joli drame qui suscite des réflexions importantes.

Film produit en 2010 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3