CINEMA

EYES WIDE SHUT de Stanley Kubrick : labyrinthe hypnotique

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Dernier film de Stanley Kubrick, Eyes wide shut réunit Tom Cruise et Nicole Kidman pour une oeuvre hypnotique et troublante sur le couple, ses secrets et ses mensonges. Obsédant.

William Harford (Tom Cruise) est un médecin sans histoire marié à la belle Alice (Nicole Kidman) qu’il ne prend plus forcément le temps de regarder vraiment. Ils ont une petite fille et vivent confortablement à New York.

Alors que les fêtes de Noël approchent, le couple se rend à une luxueuse soirée organisée par l’un des riches patients de William. On perçoit un couple qui joue délicatement avec les limites : Alice se met à flirter avec un inconnu un poil vicieux et insistant sur la piste de danse, William se laisse alpaguer par deux jeunes femmes. Au cour de la soirée, William vient en aide à son hôte qui était en train de tromper son épouse avec une prostituée : cette dernière a pris de la drogue et se sent très mal. Après cette drôle de soirée William et Alice rentrent chez eux et semblent prêts à faire l’amour.

Le lendemain, après avoir fumé un joint, Alice confesse à son époux qu’elle est surprise qu’il ne soit jamais jaloux et lui raconte comment elle a eu envie de le tromper avec un officier de la Marine. Sonné par ces révélations érotisées, un poil défoncé aussi, William n’a pas le temps de poursuivre la conversation : on l’appelle pour lui dire qu’un de ses patients est mort et il décide de rendre visite au défunt et à sa fille.

Commence alors une longue nuit où la réalité laisse place à l’étrangeté, un ailleurs. Submergé par des flashs de sa femme forniquant avec l’officier de la Marine dont elle lui a parlé, William est à son tour tenté d’explorer ses pulsions enfouies. Après avoir rendu visite à la fille de son patient décédé, il se laisse accoster par une prostituée dans la rue mais ne couche pas avec elle. Il se rend surtout ensuite dans un bar de jazz où joue un vieil ami, Nick. Ce dernier lui parle de sa fin de soirée où il va jouer dans un lieu mystérieux les yeux bandés et où se passent des choses très chaudes. William insiste pour qu’il le laisse l’accompagner. Il a pu apercevoir le mot de passe pour la soirée, Nick finit par lui indiquer le lieu et le prévient qu’il devra s’y rendre masqué. William va alors s’acheter un costume.

Ce qu’il va voir dans cette soirée libertine aux allures de rituel sectaire va le confronter à ses limites, ses hypocrisies et le plonger dans une sorte de spirale infernale par la même occasion…

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Il y a eu énormément d’analyses passionnées sur ce film, des documentaires et même des livres entiers. C’est dire comme Eyes Wide Shut fascine encore et encore les cinéphiles. Et pour cause : Stanley Kubrick laisse la porte ouverte aux interprétations les plus folles, substituant à la réalité d’un couple rongé par la routine une déambulation entre rêve érotique et cauchemar. Chacun peut avoir un regard différent sur ce qui se passe à l’écran, happé par une mise en scène étourdissante, obsédante, hypnotique et une multitude de détails, de subtilités comme autant d’indices ou de fausses pistes.

Chef d’oeuvre incontestable de la fin des années 1990, Eyes wide shut égratigne l’image parfaite d’un couple hétérosexuel bourgeois. William et Alice sont beaux, lisses en apparence mais à l’intérieur d’eux-mêmes ils sont bien plus borderline qu’ils n’en ont l’air. Car on a beau être avec quelqu’un, être amoureux, avoir fondé une famille, on garde toujours en nous des pulsions sexuelles et fantasmes parfois obscures. On peut garder cela comme un secret inavouable, on peut céder à la tromperie, on peut jouer la carte de l’hypocrisie ou emporté par un élan jouer avec les limites…

A l’évidence William et Alice n’ont pas une vie sexuelle trépidante. La scène sexy où on les voit se rapprocher montre de la sensualité, le début d’une étreinte sans qu’on sache si l’amour a été vraiment consommé au final. Et on en arrive ici à ce qui a forcément pu intéresser les cinéphiles gays : Eyes Wide Shut est mine de rien une oeuvre au fort caractère crypto gay.

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Une des lectures possibles est que William est un homo refoulé. Il ne voit pas vraiment sa femme, leur intimité est fragilisée. Toutes les autres femmes qui viennent le tenter ne parviennent pas à le faire flancher : il joue avec elles, s’amuse à faire le charmeur mais au final rien ne se passe. Les deux jeunes femmes à la soirée inaugurale l’invitent à l’entrainer « au bout de l’arc-en-ciel », il est interrompu et part. La fille de son défunt patient lui confesse sa passion et il la repousse. Il va chez une prostituée mais se débine. Son rapport à son ami Nick est un poil ambigu, quand il est avec lui on sent une excitation, une forme de perversité qui ressort dans ses yeux peu à peu. Pour aller à la soirée secrète, il doit être costumé , porter un masque, qu’il va louer dans un magasin qui s’appelle « Rainbow ». Dans la rue, des jeunes l’agresse en le traitant de pédale. Quand les flashs de sa femme avec l’officier le submergent on remarque à quel point la figure de l’officier est érotisée autant si ce n’est plus que celle de son épouse. A la soirée secrète, William voit des hommes pénétrer des femmes et impossible de dire ce qui le trouble le plus. Et puis il y a ce réceptionniste d’hôtel qui flirte avec lui, présumant qu’il est gay…

L’oeuvre s’achève alors que le couple décide de relever le défi de surmonter ses erreurs, ses zones d’ombre mais Alice insiste sur le point que pour tenir ils devront « baiser ». Un sous-entendu de plus induisant que la sexualité est plutôt absente de leur quotidien de couple. William ne serait-il qu’une farce ? Un époux en apparence parfait mais inapte à combler sa femme car dévoré à l’intérieur par des pulsions homosexuelles qu’il ne peut accepter ? Possible…

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Ce qui est amusant aussi ici, c’est à quel point Stanley Kubrick joue malicieusement avec le mythe Tom Cruise. Au coeur de ce grand labyrinthe, l’air de rien, le cinéaste joue avec l’homosexualité refoulée de la star présumée par certains tabloïds mais montre aussi et surtout sa part sombre, la soirée « Fidelio » ressemblant à une secte. Difficile de ne pas penser à la Scientologie.

Certains ont également reçu le film comme un regard sans fard sur l’exploitation des femmes dans la société, comme c’est le cas dans cette vidéo par exemple :

Fascinant, Eyes Wide Shut est une oeuvre sur laquelle on peut revenir encore et encore, dans laquelle on se replonge à chaque fois avec le même plaisir, étrange et irrésistible, digne d’une transe. Stanley Kubrick délivre un pur moment de cinéma, rendant aux images  leur force et leur ambiguïté, créant une atmosphère hypnotique unique.

Film sorti en 1999 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3