FICTIONS LGBT

FIRE ISLAND de Andrew Ahn : le milieu gay, paradis et enfer

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Avec Fire Island, le réalisateur Andrew Ahn nous emmène en vacances dans la célèbre île du même nom en compagnie d’un groupe de jeunes gays. L’occasion de sonder l’air du temps, de montrer les hauts et les bas de la vie gay. Drôle et sexy, cette comédie solaire soulève aussi tout un tas de sujets qui n’ont rien de superficiels. 

Comme chaque année, Noah (Joel Kim Booster), son meilleur ami Howie (Bowen Yang) et leurs potes Luke (Matt Rogers), Keegan (Tomas Matos) et Max (Torian Miller) partent en vacances à Fire Island, île américaine bien connue des touristes gays. Ils logent toujours dans la belle maison de leur amie lesbienne Erin (Margaret Cho). 

Se détendre au soleil au milieu d’une foule de gays sexy et athlétiques en quête de compagnie peut aussi bien ressembler au paradis qu’à l’enfer. La superficialité est de mise et la solidarité pas toujours franchement au rendez-vous. 

S’il ne croit pas vraiment à la monogamie et aux relations de couple « type hétéro », Noah aimerait quand même bien faire une rencontre. Et s’il est conscient des travers du milieu gay qu’il aime souvent observer et décortiquer avec cynisme, il se prête lui aussi parfois à quelques codes obligés. 

Lors de ces vacances qui pourraient être les dernières dans la maison d’Erin (qui va peut-être devoir vendre sa maison en raison de soucis d’argent), Noah se donne pour mission d’aider son timide et sensible ami Howie à trouver chaussure à son pied et à arrêter de se prendre la tête. Howie, qui détonne un peu avec son petit bidon au milieu de sa bande de mecs majoritairement super gaulés, regrette de ne toujours pas avoir eu de relation sérieuse. Son meilleur ami va essayer de lui prouver qu’il y a du bon dans la vie de célibataire et les histoires légères. Ce dernier le pousse ainsi dans les bras d’un charmant jeune médecin, Charlie (James Scully). Mais Howie et lui ne vont pas du tout partir sur un plan d’une nuit : ils vont au contraire faire connaissance de façon de plus en plus romantique. 

Charlie est venu à Fire Island avec son ami plus âgé, le riche avocat Will (Conrad Ricamora). Ils logent avec d’autres amis dans sa somptueuse demeure avec jacuzzi. Noah va être instantanément attiré par ce bel homme cultivé mais va vite repartir sur ses gardes, Will apparaissant comme un homme un peu froid, pas franchement sympathique voire un peu méprisant. 

Ces vacances au coeur de Fire Island vont être pour chacun l’occasion de se confronter à de nombreux clichés, situations universelles pour les gays et autres préjugés qui ne demandent qu’à être déjoués. 

fire island film

Ce film qui a l’air d’avoir disposé d’un joli budget pour une comédie indé à thématique gay bénéficie d’une sortie massive en ligne, sur Hulu aux Etats-Unis et sur Disney + dans certains pays (dont la France). Une belle exposition pour ce long-métrage fait par une équipe LGBT pour des LGBT et plus particulièrement les gays (même si les hétéros sont invités à se joindre à la fête, après tout en tant que gay on regarde bien des tas de « comédies hétéros » alors pourquoi pas eux). Outre son cast très très gay, le projet s’appuie sur une bande de comédiens certes pour la plupart tous très sexy mais porteurs d’une diversité pas si fréquente que ça encore dans ce type de productions. Les premiers rôles sont en effet tenus par des acteurs majoritairement d’origine asiatique et les seconds rôles jouent la carte du métissage. 

Moins superficielle et bien plus dense qu’elle n’en a l’air, cette production parvient à retranscrire les nombreux paradoxes et les ambivalences d’un certain milieu gay festif. On peut à la fois savourer le plaisir de l’entre soi, d’être dans un safe space avec des garçons qui partagent la même orientation sexuelle, se réjouir d’avoir une bande d’amis gays qui est « comme une famille », il n’empêche qu’il y a aussi dans ce microcosme des tas de choses pas franchement reluisantes. 

fire island film

Noah, le personnage principal qui n’a pas sa langue dans sa poche, évoque ainsi le racisme ou le fétichisme dont peuvent être victimes les garçons asiatiques. On sent parfois le malaise de ceux qui ont un physique plus ordinaire ou avec des rondeurs de se retrouver au coeur d’une horde de playboys accros au sport et fiers d’exhiber leurs abdos. Palpable aussi est le vertige d’un milieu où l’obsession pour le sexe est omniprésente. On sent la promiscuité, ce côté « supermarché » où tout le monde se scrute, se jauge, se chope ou se dénigre. Et si le jeu des apparences est pesant il n’y a pas que ça ! Le film montre aussi le poids que peut constituer les différences de classes sociales. 

Si dans le milieu gay on se retrouve car à priori on peut se ressembler, souvent les gens ne s’assemblent pas pourtant et au contraire ont tendance à se comparer, à se sentir dans une sorte de rivalité / compétition / comparaison malsaine. Noah et ses camarades ne sont pas riches, ils ont parfois du mal à finir le mois et leur rencontre avec la bande privilégiée de Will, Charlie et leurs amis biens nés vont donner lieu à quelques étincelles. 

fire island film
fire island film

Le film a le mérite de ne vraiment pas balayer les sujets qui fâchent, n’hésite pas à montrer ce que la communauté gay peut avoir de plus infernale ou borderline (la surconsommation de sexe, la sexualité comme recours pas franchement sain pour tenter de soigner l’estime de soi, la consommation festive et un peu trop nonchalante de substances illicites…) mais en même temps elle montre aussi la camaraderie, les belles surprises qui déjouent les pronostics et à priori.

Le milieu gay n’est alors ni un paradis ni un enfer, simplement quelque chose entre les deux. Et si l’intrigue s’appuie et joue sur de nombreux clichés, elle les déjoue souvent. Bourrée de clins d’oeil à une culture pop et queer, l’écriture (signée Joel Kim Booster) est vive, souvent mordante, assez intelligente. Andrew Ahn et son équipe trouvent ainsi un parfait équilibre entre divertissement sexy, comédie fun, codes de rom coms (notons que l’histoire s’amuse à partir du schéma narratif de l’oeuvre Orgueil et préjugés de Jane Austen pour le détourner joyeusement), critiques et introspections. Une belle surprise, pleine d’énergie, d’authenticité et aussi de sensibilité. 

Film sorti en 2022 sur Disney + en France 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3