FICTIONS LGBT

GERONTOPHILIA de Bruce LaBruce : le désir sans âge

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Lake (Pier-Gabriel Lajoie) est un beau jeune homme au regard rêveur. Il vit seul avec sa mère, femme instable qui accumule les amants et qu’il appelle par son prénom. Il vit également depuis un certain temps une relation d’amitié amoureuse avec Désirée (Katie Boland), jeune fille passionnée par la littérature et le rock et qui se plaît à continuellement lister toutes les femmes qui à ses yeux sont des révolutionnaires.

Alors qu’il travaille comme maître nageur, il est amené à secourir un vieil homme en train de se noyer dans son bassin. Tandis qu’il le ranime par un bouche à bouche enthousiaste, il ne parvient pas à masquer son excitation dans son maillot. Moment de gêne, qui lui vaudra de ne plus retourner travailler mais confirmation aussi de désirs refoulés depuis déjà un certain temps. Lake est en effet attiré par les hommes très âgés, fasciné par leur chair vieillissante, leur peau…

Quand sa mère lui décroche un poste d’assistant dans un centre pour personnes âgées et malades, il croit débarquer au paradis. Son attention se porte rapidement sur Monsieur Peabody (Walter Borden), homosexuel de plus de 80 ans qui refuse la plupart du temps de prendre ses cachets. Ils deviennent amis et Lake se laisse peu à peu déborder par des sentiments qu’il ne peut assumer. Alors que leur relation étonnante finit par être révélée et que l’on tente de les empêcher de se voir, Lake décide d’organiser une petite évasion, permettant au vieillard charismatique de sortir prendre l’air et de revivre en toute liberté après des années d’enfermement et d’infantilisation…

gerontophilia film bruce labruce

Bruce LaBruce, réalisateur culte de Hustler White, ayant fait du x gay un art pop et underground (Raspberry Reich, Otto, Skin Flick, L.A. Zombie), a connu un de ses plus grands succès critique avec  Gerontophilia, film qui malgré son titre qui pourrait en rebuter quelques uns, est en effet son oeuvre la plus ouverte et la plus tendre. On retrouve tout l’humour décalé du cinéaste, son amour des situations bizarres, son obsession d’une chair souvent mise à mal (ici par l’épreuve du temps), sans provocation ou trash, donnant au spectateur la sensation de découvrir sa première œuvre « apaisée ». Si la première partie est un poil hésitante (le manque de budget se ressent parfois bien que comblé par de petites envolées musicales du meilleur goût et des acteurs qui assurent), le film s’envole en même temps que son jeune personnage principal tombe amoureux et par la même occasion commence à vivre et assumer ses réels désirs.

Lake apparaît comme un ange coquin, au regard plein de gourmandise, face à la vision de personnes âgées. Des personnes que l’on enferme dans des chambres, que l’on traite comme des enfants ou des animaux, des êtres dont on ne considère plus le corps (des corps que l’on lave de façon chirurgicale, vidés de leur substance érotique). Dans une société où le culte de la beauté et de la jeunesse n’ont jamais été aussi forts, le « fétichisme » de Lake apporte un sacré contraste qui lui vaudra d’être perçu par sa copine Désirée comme un petit révolutionnaire, défiant l’ordre moral et la loi de la nature. Par cette attirance et aussi l’amour que porte Lake à Monsieur Peabody, Bruce LaBruce livre une variation très douce sur la différence (d’âge, de sexualité…). Gerontophilia est avant tout le portrait d’un jeune homme qui va peu à peu apprendre à s’affirmer, à se libérer du regard des autres pour vivre sans honte, de façon libre.

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A l’écran, le duo Pier-Gabriel Lajoie et Walter Borden fonctionne parfaitement. Leurs rapprochements sont filmés avec humour ou romantisme, la musique et quelques effets pop matérialisant l’ivresse des sentiments et d’un désir refoulé qui enfin se matérialise. Plus le film avance et plus Bruce LaBruce semble, à l’image de son jeune héros, s’affirmer. Sa mise en scène se révèle d’une subtilité inattendue sans jamais pour autant renier ses thèmes de prédilection. Il y a quelque chose d’émouvant dans le fait de voir cet auteur culte parvenir à doter pour la première fois l’un de ses films d’une portée universelle. Si Gerontophilia reste une œuvre fragile, sur le fil, elle a la magie et la beauté de ceux qui osent s’aimer sans suivre les chemins balisés. Très attachant et souvent jubilatoire.

Film sorti en 2014. Disponible sur la plateforme de films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3