CINEMA

GILDA de Charles Vidor : séduction et ambiguïtés

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Johnny Farrel (Glenn Ford), américain, vient de débarquer à Buenos Aires, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Il est un pro du jeu et gagne souvent beaucoup d’argent dans les rues. Un soir, alors qu’ il est en très mauvaise posture, un homme inconnu, Ballin Mundson (George Macready) lui vient en aide. Bien que les casinos soient interdits, il lui donne la carte d’un établissement de jeu. Johnny ne résiste pas à la tentation et part y passer la soirée, gagnant une belle somme aux cartes. Son aisance à gagner à tous les coups lui vaut d’être convoqué par le propriétaire et directeur de la maison, qui n’est autre que Ballin. Parti pour le flanquer dehors, le patron finit par embaucher Johnny, ce dernier l’ayant convaincu qu’il pouvait mettre à sa disposition sa connaissance des jeux à son avantage. Pour Farrel c’est le début d’une autre vie. Il se balade désormais en costume, travaille dans un endroit luxueux même si ce dernier cache les réelles activités de Ballin (il est à la tête d’un trust visant le monopole du commerce du tungstène, un métal rare).

Les deux hommes deviennent rapidement proches, amis. A tel point que Ballin, qui est menacé par des malfrats ainsi que par les autorités, envisage de tout léguer à Johnny s’il venait à mourir. Leur relation devient néanmoins plus complexe quand Ballin rentre d’un voyage d’affaires en étant marié à une femme qu’il vient seulement de rencontrer : Gilda (Rita Hayworth). Belle et provocante, elle suscite instantanément chez Johnny un vif sentiment de haine. Une haine réciproque : il s’avère qu’ils se connaissent et qu’ils ont été  fiancés dans un passé pas si lointain. Ils n’en disent pas un mot à Ballin, qui reste suspicieux. Il demande pourtant à Johnny de veiller sur Gilda, de la surveiller. Une tâche que le protégé prend très au sérieux même s’il n’ose révéler toute la vérité à son patron et ami. En effet, Gilda passe ses nuits à aller dans des hôtels, à séduire les hommes. Une attitude qui rend fou Johnny. Sentiments complexes, non-dits et aveuglement de la passion : le triangle amoureux qui se dessine pourrait bien provoquer la chute de ses trois participants…

gilda film charles vidor

Classique surtout connu pour être l’un des plus grands rôles de la divine Rita Hayworth, Gilda est aussi bien un film noir qu’une œuvre sur la complexité de l’amour et du désir. La mise en scène est soignée, avec un très beau travail sur le noir et blanc mais c’est surtout l’ambiguïté dont elle témoigne qui frappe. Le scénario (à la base une vague adaptation d’une histoire de E.A. Ellington mais qui se construisit au fil du tournage, avec de nombreuses modifications) est assez flou, plein de trous. On ne saura jamais ainsi ce qui a amené Johnny et Gilda a se séparer, même si l’on devine que c’est lui qui l’a délaissée. Le suspense autour des activités peu légales de Ballin et le danger qui le menacent tient vaguement en haleine. Ce qui nous retient, ce sont les interactions très étranges entre les trois membres d’un triangle amoureux moins défini qu’il n’y paraît.

Ballin a eu le coup de foudre pour Gilda et on peut le comprendre : chevelure sublime, jambes à se damner, sensualité, mystère. Une femme charismatique qu’il dit aimer comme un fou, au point que son aveuglément le poussera à ne pas surveiller d’assez près son business causant ainsi sa propre chute. Pourtant, il la laisse très souvent seule, ne voit pas qu’elle séduit tous les hommes qui se présentent sur son passage, ne s’interroge pas plus que ça sur le fait qu’elle sort toujours la nuit. Gilda apparaît comme une femme fatale, une manipulatrice sûre de son charme. Pourtant, elle peine à masquer ses failles face à Johnny, son ancien amour. Elle se révèle superstitieuse, ultra sensible, dans l’attente perpétuelle d’attention que ni son mari ni son ex ne parviennent à lui donner. Alors elle provoque, tente de susciter la jalousie. Le lien qui l’unit à Johnny est plus que particulier. Ils disent se détester mais s’attirent. Il n’a de cesse de la rabaisser mais est en réalité subjugué. Il ne supporte pas qu’elle prenne le dessus sur les hommes en jouant avec leurs pulsions mais est toujours à deux doigts de tomber lui-même dans le piège. Une relation d’amour-haine qui ne manque pas de mordant, entre confrontations plus ou moins directes, jeux pervers et sadiques.

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Mais le triangle ne s’arrête pas là. La relation entre Ballin et Johnny étant fortement teintée d’ambiguïté. La façon que le patron a de sortir sa canne phallique, la dévotion quasi-aveugle de Johnny qui dit « être né le jour où il l’a rencontré », le fait que les deux hommes ne couchent finalement presque pas avec celle qu’ils sont supposés aimer… On ne sait pas toujours quel est le moteur de leur jalousie. Si la fin du film tranche (de façon un peu expéditive), le doute persiste.

La force du long-métrage de Charles Vidor, outre les excellentes interprétations des acteurs, tient dans sa subtilité, son abstraction même, présentant une intrigue ouverte aux multiples interprétations, jouant avec les frustrations intérieures de ses protagonistes, leur impulsivité, le paradoxe des émotions qui les submergent. Une œuvre qui peut laisser perplexe à la première vision mais qui travaille, qui hante, laissant des scènes inoubliables en tête (comme les superbes numéros chantés avec Rita Hayworth, érotiques et foudroyants).

Film sorti en 1946. Disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3