FICTIONS LGBT
HEARTSTONE de Gudmundur Arnar Gudmundsson : une amitié passionnelle entre garçons toute en sensibilité
Primé dans de nombreux festivals de cinéma / LGBT (l’une des dernières récompenses étant le Prix du Jury au Festival Chéries Chéris 2017), « Heartstone » de Gudmundur Amar Gudmundsson nous entraîne pendant un peu plus de deux heures au coeur d’un petit village de pêcheurs en Islande.
Le décor est à la fois éblouissant avec ses espaces infinis, sa nature qui sent bon la liberté et asphyxiant de par son cadre rural et les travers qui peuvent parfois aller avec. Comme dans bien des villages, il y a peu d’habitants, tout le monde se connait et rien ne se passe sans que tout le monde soit rapidement au courant. Les carcans fusent, l’ennui et la solitude sont fréquents et pour les fuir de nombreux habitants se perdent dans l’excès (violence et alcool notamment).
Dans cette bourgade où les perspectives sont limitées, le long-métrage s’accroche à deux personnages en particulier : Thor (Baldur Einarsson) et Christian (Blaer Hinriksson). Ils sont tous les deux au début de l’adolescence et cultivent depuis des années une amitié passionnelle. Ils sont tout l’un pour l’autre, comme deux frères, et Christian passe son temps fourré chez son ami. Parfois, ils se titillent, se sautent dessus de façon inoffensive, se cherchent.
L’amitié que les deux garçons imaginaient éternelle va se heurter à l’éclosion de leur sexualité. Tandis que Christian désire en secret son meilleur ami, ce dernier n’en a que pour une des jeunes filles du coin avec laquelle il commence à concrétiser. Ne parvenant pas à mettre de mots sur le trouble qui l’anime, sur sa frustration, sa jalousie, son désir de possession incontrôlable, Christian commence à se refermer sur lui-même. De quoi envenimer une amitié qui va être de plus en plus fragilisée. Pour corser encore plus la chose, Christian a un père homophobe qui vient de casser la figure à un homo refoulé du coin.
Il émane de « Heartstone » une grande mélancolie, un parfum de solitude assez dévastateur, une tristesse intemporelle. Les différents protagonistes se découvrent tous petit à petit, adultes comme ados, prisonniers de situations qu’ils n’arrivent plus à contrôler. Si le sujet de l’homosexualité tourmentée d’un jeune ado traverse le film, le réalisateur traite aussi avec une grande précision du quotidien rural, d’une certaine misère sociale, de l’étouffement qui va de pair avec le sentiment d’être en marge. Car au final, si tout le monde se juge, tout le monde se sent différent et un peu seul. De la mère abandonnée qui se perd dans des parenthèses sexuelles qui s’ébruitent à la petite soeur un peu étrange qui matérialise ses angoisses à travers des poèmes morbides.
C’est une oeuvre dense, fine, dont l’écriture évoque parfois la littérature qui se dessine à l’écran par petites touches. « Heartstone » est parfois un peu rugueux, prend son temps, mais il laisse définitivement quelque chose de très profond, sonde avec une très grande sensibilité les dilemmes de ses personnages principaux (donnant ainsi aussi à voir, la détresse de l’hétéro qui souffre de ne pouvoir donner à son ami tant aimé ce qu’il attend vraiment de lui). Le regard très personnel de Gudmundur Amar Gudmundsson permet à l’ensemble de se différencier et de marquer malgré une trame à priori déjà maintes fois explorées. Touchant.
Film sorti au cinéma le 27 décembre 2017
Le crush du film
Définitivement le personnage le plus marquant du film, Christian fait partie de ces très beaux garçons qui ignorent qu’ils le sont. Un petit blond imberbe taillé comme ça se prendrait 100 messages par jour sur Hornet, à l’aise. Mais dans son trou paumé, il ne le réalise absolument pas et se retrouve à crier de désespoir en apnée au fond d’un lac. Life is a bitch.
Plus sérieusement, son comédien Blaer Hinriksson livre une très belle performance qui hante durablement. Ce petit Christian, on a envie de le prendre dans nos bras pour lui dire que tout ira bien…