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I WANT YOUR LOVE, LONG-METRAGE de Travis Mathews : le désir et le risque

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Jesse (Jesse Metzger) est artiste. Il s’apprête à quitter San Francisco pour l’Ohio, espérant y trouver les aides, le calme et la concentration pour faire avancer son travail, après dix ans de surplace. Cette décision semble toutefois relever de l’impulsion. Jesse ne s’est pas renseigné sur la scène artistique locale, est rongé par le doute, la peur de faire un mauvais choix. En Ohio, il retournera vivre chez ses parents, et il n’a jamais eu des rapports évidents avec son père. A la pression du changement, du risque, s’ajoute le poids douloureux des au revoir. Son colocataire Wayne (Wayne Bumb), son ami et confident performer, et surtout son ex Ben (Ben Jasper) seront là lors d’une grande fête pour son départ. Cela fait un moment que Jesse et Ben ne se sont pas vus. Ce dernier est de retour en ville spécialement pour l’occasion. S’offriront-ils une nuit d’adieux ? Le temps de deux jours, nous allons suivre Jesse et ses amis dans une valse de sentiments et de désirs…

En seulement un court-métrage, Travis Mathews est devenu un petit phénomène, la promesse de lendemains qui chantent pour le cinéma indépendant américain et le x gay arty. I want your love, le court-métrage, avait en effet créé la surprise sur le net en proposant une scène d’intimité entre deux garçons, au naturel saisissant, pleine d’émotion et excitante en diable. On tombait amoureux des personnages, on vibrait avec eux et le passage au plaisir charnel, montré explicitement, se faisait le plus naturellement du monde. Pignolade avec les larmes aux yeux, nous n’en revenions pas. Le réalisateur revient cette fois avec un I want your love au format long-métrage (un peu plus de 70 minutes), à l’intrigue totalement inédite.

i want your love travis mathews

L’acteur principal, Jesse Metzger, a un charme fou : difficile de ne pas en tomber amoureux. Travis Mathews le filme avec une folle sensualité, une délicatesse inouïe, magnifiant chacune de ses petites imperfections. Elégance des plans, évoquant le meilleur du cinéma indépendant américain, l’influence palpable de John Cameron Mitchell (Shortbus) et Andrew Haigh (Weekend), une bande-originale signée Chromatics (avec également des morceaux de Glass Candy) : il y avait longtemps qu’on avait pas vu un film « rose » aussi beau et on se pincerait presque pour se persuader qu’on n’est pas en train de rêver. Mais est-il vraiment ici question de cinéma x ? La démarche de Travis Mathews semble plutôt être de dresser des portraits réalistes de jeunes hommes en les montrant dans leur globalité, sexualité comprise. De Jesse, on verra tout. Son regard rêveur quand il repense non sans nostalgie aux moments complices jadis échangés avec son ex Ben, son regard triste quand il réalise que son père a vraiment un problème avec lui, ses difficultés à se concentrer sur son art, sa nervosité à l’idée de faire fausse route, sa tendre amitié avec son colocataire Wayne mais aussi sa difficulté à jouir lors d’un plan d’un soir, à aller au bout de l’acte sexuel quand celui-ci ne semble pas vraiment correspondre à son désir profond. Des personnages qui se mettent à nu, dont les prénoms sont les mêmes que les acteurs qui les incarnent. L’interprétation est sans faille, très juste, visuellement c’est beau, à la fois poétique et désillusionné.

Si le long-métrage tourne avant tout autour de Jesse, il est aussi question des garçons qui gravitent autour de lui. Son colocataire Wayne, à l’allure bear, est sur le point d’emménager avec son petit ami Ferrin. Peur que les choses ne se passent pas bien, réflexion sur le fait de tenter ou non le couple libre. Et pendant ce temps, en ville, l’ex Ben recroise Brontez, pote de Jesse qu’il avait perdu de vue et qui ne semble pas le laisser de marbre. Chaque garçon a son propre look, sa spéficité. Wayne est poilu et bedonnant, Ferrin est frêle et hésitant, Brontez est un garçon noir extraverti un peu efféminé qui ne loupe jamais une occasion de partager ses histoires de fesses, Ben a un début de calvitie qui n’enlève rien à son visage d’ange. A l’aide de gros plans caressants, sensuels, délicats, Travis Mathews dévoile la beauté presque secrète de chacun, rend beaux les corps dans leur diversité. Chaque scène intime est visuellement fascinante et suscite un véritable trouble. Et leur déroulement casse la mécanique habituelle du x. Des préliminaires dans une chambre le temps d’une fête se retrouve subitement interrompue, un plan à trois ne tourne pas comme les participants l’auraient imaginée, un rapprochement inattendu entre deux amis ne finira pas totalement consommé. Mathews filme la jouissance, la fièvre, mais aussi les dérapages, la fuite, l’interruption subite du désir. Les rapports sexuels, aussi séduisants soient-ils à regarder, ne sont pas forcément évidents. Ils sont comme les relations, les sentiments, fluctuants, propices à évoluer, à être interrompus, frustrés.

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La série de portraits masculins, criante de vérité, ornée de dialogues sensibles, d’habiles non-dits touche droit au cœur. Et surtout, l’intrigue de Jesse se révèle pour le moins inattendue dans son traitement. Dans toute la première partie, on attend ses retrouvailles avec Ben. Mais finalement ils n’auront pas droit à une dernière nuit au lit. Lors d’un rapport qu’il s’apprête à interrompre, Jesse lance : « This is not what I want ». Le titre du film, lui, dit « I want your love ». Attendait-il l’amour de Ben ? Sans aucun doute. Mais ce qui fait mal ici, et ce qui finira par libérer le personnage au bout du compte, c’est cette incapacité à retrouver un amour perdu. On aimerait que les choses reprennent, qu’elles soient comme avant dans tous les sens du terme mais lors des retrouvailles il n’y a plus l’étincelle, quelque chose à changé, on ne peut plus retrouver la beauté que dans les souvenirs. Il faut parfois une cassure pour avancer. Jesse parviendra à trouver son moteur, à prendre un risque.

Maîtrisé et sensible, révélant les corps, sondant les sentiments, I want your love ,sous ses airs de chroniques gays naturaliste et sans prétention, surprend et obsède. Un film qui va faire date et qui révèle un auteur définitivement à suivre.

Sorti en salles en 2013. Disponible en DVD et sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3