CINEMA

ILLICIT de Archie Mayo : s’aimer et se conformer

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Début des années 1930. Anne (Barbara Stanwyck) et Dick (James Rennie) se voient en cachette et vivent leur amour en marge des conventions. Leur relation est belle, intense, complice, et ils ne veulent pas devenir comme tous ces vieux couples malheureux, usés par des années de mariage. Anne est particulièrement réticente à l’idée de « contractualiser » leur union, marquée par le divorce de ses parents. Convaincue que le mariage provoque irrémédiablement la faillite du couple, elle espère pouvoir vivre le plus longtemps possible son bonheur avec celui qui partage ses nuits dans la discrétion. Les tourtereaux ne peuvent en effet afficher leur romance car il serait mal vu qu’un homme et une femme couchent ensemble sans être mariés et sans vivre ensemble.

Si par moments Dick est tenté de se fondre dans le moule, il se refuse de faire pression sur Anne dont il respecte les convictions et « théories ». Les choses finissent pourtant par basculer quand ils se retrouvent être les sujets de rumeurs et que cela embête la famille de Dick. Alors que le père de ce dernier affirme à Anne qu’elle risque de ne pas supporter longtemps la pression sociale et les commérages, la belle finit par craquer : pour ne pas ternir la réputation de l’homme qu’elle aime, elle accepte de se marier avec lui, en attendant de lui qu’il ne se comporte pas comme tous les autres.

D’abord insolent, le jeune couple n’échappe hélas pas à la routine et ses pièges. Progressivement, Dick fait moins d’efforts et laisse son quotidien avec celle qui est devenue sa femme ronronner, manquer de surprises. En vivant sous le même toit, Anne et lui finissent par être rattrapés par les clichés, par s’agacer…

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Film inédit sorti en DVD dans la collection « Forbidden Hollywood », Illicit propose de plonger dans l’intimité d’un couple des années 1930 avec un ton libéré, précédant le Code Hays. Ainsi découvre-t-on Barbara Stanwyck, belle et légère, en dessous, après une nuit de délices avec son petit ami Dick. Ils se moquent de l’institution du mariage, se revendiquent différents des autres, préférant cultiver leur amour dans la liberté et la clandestinité. Mais dès que les rumeurs commencent à se propager et que la famille de Dick commence à s’en mêler, ils font machine arrière. Et leurs espoirs de rester les mêmes s’amenuisent au fil du temps…

L’intimité de leurs petits appartements respectifs cèdent la place à une grande demeure plus impersonnelle. Les soirées en tenues légères sont remplacées par des dîners costumés, des mondanités avec d’autres couples. Ils finissent par passer plus de temps en société, à mettre en scène leur union, qu’à cultiver à deux ce qui faisait le sel de leur relation. En vivant sous le même toit, ils perdent l’excitation de se voir, les surprises, font petit à petit moins d’efforts, commencent à se mentir…

Anne va être celle qui aura le plus de mal à accepter les multiples changements que vont provoquer son mariage. Elle n’appartient soudain plus à son clan d’amis fêtards célibataires, se retrouve affublée de l’image sociale de l’épouse dont elle n’a jamais voulue, réalise qu’en partageant son lit tous les soirs Dick commence à considérer leur amour comme acquis, qu’il est d’un coup plus amusé à l’idée de sortir avec ses amis que d’aller danser en tête à tête avec elle. Quand on est mariés, l’autre est à la fois la personne la plus importante de sa vie mais aussi une sorte de meuble du quotidien, et on a vite fait de lui enlever son statut exceptionnel, pétillant. Quand on est mariés, on finit aussi par s’habituer à la présence de l’autre, à savoir ce qu’il fait et à quel moment et quand des éléments nous échappe, quand l’autre sort seul, la jalousie peut rapidement pointer le bout de son nez…

Se retrouvant frustrée, déçue et jalouse, Anne réalise au bout de quelques mois seulement que toutes ses craintes étaient fondées, qu’elle et Dick sont devenus de tristes stéréotypes. Peut-on baigner indéfiniment dans l’insouciance des premiers instants ? Le fait de vivre ensemble et de rendre son union officielle est-il forcément toxique ? Anne avait-elle vu juste ou bien rêve-t-elle encore un peu trop comme une jeune fille ? Le couple va passer par tous les états (tentative de vivre ensemble sans se conformer puis de refaire appartement séparé), s’interroger sur la façon d’inscrire les sentiments sur la durée. La tentation rode, la pression sociale parasite (après le fait de devoir se marier il faut être une bonne épouse avant de penser à être une bonne mère)… Illicit montre la difficulté de deux amoureux de rester fidèles à l’étincelle de leurs débuts. Plus que des simples compromis, pour que la flamme reste intacte c’est un combat de tous les jours qui s’imposera. Et malgré les revers, les possibles déceptions, Anne et Dick continueront malgré leurs erreurs et incertitudes respectives de tenir bon, de chercher une solution.

La qualité de ce classique méconnu tient avant tout dans son ton libéré, ses dialogues savoureux et dans l’interprétation de Barbara Stanwyck (la mise en scène, elle, est très sage / impression de théâtre filmé). Avant une flopée de rôles de femmes fortes et inoubliables, l’actrice apparaît ici plus jeune, belle et moderne que jamais, habillée dans de magnifiques costumes. Elle donne à Anne, amoureuse éprise de liberté et d’honnêteté, beaucoup de profondeur avec son jeu à la fois subtil et puissant. Stanwyck est notamment au sommet de son art dans la scène finale du métrage, rehaussant par son intensité entre ironie de façade et larmes un happy end un poil expéditif et consensuel. A voir pour elle donc.

Film produit en 1931 disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3