CINEMA

JAMAIS LE DIMANCHE de Jules Dassin : profiter de la vie

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Grèce, Le Pirée, début des années 1960. Homer (Jules Dassin), touriste américain et philosophe amateur , débarque dans le but de trouver « La vérité ». Il se demande comment le monde a pu autant partir en vrille et pense trouver les réponses sur la Terre qui fut celle des plus grands philosophes avant de sombrer selon lui dans une certaine déchéance. Très premier degré, observant les habitants et prenant des notes sur son petit carnet, l’américain s’étonne de la joie de vivre de ceux qui l’entourent. Les grecs passent leur temps à rire et faire la fête, se fichant des conventions et du ridicule.

Mais c’est surtout Ilya (Melina Mercouri) qui va retenir son attention. Très belle femme, au caractère bien trempée, elle fait figure de véritable légende locale. Et pour cause : elle est la seule prostituée indépendante des environs et la préférée de tous les hommes. Ilya impose ses propres règles du jeu : elle choisit ses clients et fixe elle-même ses prix selon son envie. Et elle ne travaille pas le dimanche, jour qu’elle réserve à ses amis (qui sont majoritairement ses clients, qui lui porte une adoration sans faille). Le succès de la belle ne plaît guère au maquereau du coin, qui a de plus en plus de mal à tenir les filles qu’il exploite depuis des années et qui songent à se rebeller, inspirées par Ilya.

De son côté, charmé, Homer se donne pour mission de « sauver » cette femme qui prend chaque jour comme une bénédiction sans se poser de questions. Il pense qu’en l’instruisant davantage, qu’en lui faisant comprendre que sa vie est plus dissolue qu’elle ne veut le croire, il la remettra sur le droit chemin. La leçon à retenir qui découlera de leur rencontre et de leurs multiples confrontations ne sera pas forcément celle à laquelle on aurait pu s’attendre…

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Présenté au Festival de Cannes en 1960, dont le jury décerna le Prix d’interprétation à la pétillante Melina Mercouri, Jamais le dimanche (Never on Sunday en VO) est une comédie pour le moins surprenante. La scène d’ouverture nous présente le personnage d’Ilya, femme séduisante et séductrice, respirant la joie de vivre, sautant en sous-vêtements dans l’eau et invitant les hommes autour d’elle à la rejoindre. On est très loin du portrait classique de la prostituée, des passes glauques, de la misère sociale. Le réalisateur Jules Dassin, qui incarne aussi le personnage d’Homer, filme une fille qui loue ses charmes aussi bien pour gagner sa vie que pour le plaisir, le tout dans une totale insouciance. C’est comme si la morale, les lois du monde, n’avaient plus lieu d’être sur cette terre où le soleil rayonne et où l’alcool coule à flots. Tous les habitants apparaissent comme des épicuriens en puissance, passant leur temps à faire la fête et profiter des bonnes choses simples qu’offre la vie (les bons repas, l’alcool, le sexe). Et personne ne se pose de questions, prenant chaque nouveau jour comme il vient, en occultant le négatif pour se focaliser sur le positif. Ilya, par exemple, se dit grande amatrice de tragédie grecque. Elle ressort de chaque représentation pleine de joie et réinterprète le sens des œuvres en y trouvant des fins heureuses.

Homer, le touriste américain, est l’exact opposé des grecs bons vivants au milieu desquels il tente de s’intégrer pour sa petite enquête personnelle. Il se pose tout le temps des questions, juge, ne prend jamais le temps de se relâcher, d’arrêter de penser pour jouir du présent. Très cultivé, il est convaincu d’être plus intelligent que ces gens du peuple qui agissent à ses yeux de façon primitive et compte bien leur donner quelques leçons. A chaque fois qu’il pousse l’une des personnes qu’il croise à réfléchir sur sa condition, à la signification de ses actes, il provoque la tristesse. Il finira bien par amener Ilya à réfléchir sur son métier, son quotidien peu vertueux, la coupant de tout ce qui faisait sa vie jusqu’alors. Plus « respectable », la belle apparaîtra aussi complètement éteinte, se privant de ce qui lui apportait du bonheur, même si aux yeux d’Homer tout cela n’était que factice.

Cette comédie, classique dans la forme mais joliment barrée dans son ton, montre qu’il n’y a pas de mode d’emploi pour profiter de la vie et que ce n’est pas forcément en suivant les règles, la morale, que l’on s’épanouit le plus. La façon de vivre et les habitudes de Ilya et ses amis peuvent aux yeux de beaucoup de monde paraitre sordides mais est-ce que cela à une véritable importance puisque pour eux leur quotidien fait de légèreté et d’insouciance est une source constante de plaisir ? C’est finalement contre toute attente Homer qui ressortira le plus grandi de cette confrontation, délaissant son regard de touriste, d’américain supérieur, pour essayer de goûter au charme d’une vie simple sans se soucier des significations et des apparences.

Il y a quelque chose d’assez libérateur et de jouissif dans ce divertissement en noir et blanc, certes souvent simpliste et édulcoré mais ô combien charmant et loin des discours habituels moralisateurs.

Film sorti en 1960 et disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3