CINEMA

JE T’AIME JE T’AIME de Alain Resnais : le temps de l’amour

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Claude Ridder (Claude Rich) a essayé de se suicider. Pas de chance : il s’est loupé. Pas le temps de retourner dans la vie, un mystérieux groupe de scientifiques vient à lui pour lui proposer une expérience unique : un voyage dans le temps. Claude va retourner dans son passé, un an plus tôt pour être exact. Il sera un pionnier car seule une souris avait vécu cette expérience. Loin de l’enthousiasme, notre homme joue au cobaye avec la mine d’un condamné. Nous sommes là devant un je m’en foutiste, une personne qui ne croit plus en rien, qui n’attend plus grand-chose de la vie.

Son voyage en arrière devait durer une minute. Mais alors qu’il retrouve la femme de sa vie (Olga Georges-Picot), celle qui l’a sans doute amené vers le désir de mort, Claude échappe aux voies de la raison. Il revit les moments clés de son existence puis revient dans le présent pour mieux s’en échapper. Jusqu’où cette aventure le mènera-t-il ?

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Je t’aime Je t’aime : titre de film répétitif, qui fait penser à un écho. Sans aucun doute l’écho de l’autre, de l’être aimé. Avec un scénario co-écrit avec Jacques Sternberg, Alain Resnais nous entraine dans une aventure aussi romantique que philosophique et s’amuse à nous perdre dans le temps. Montage à la fois alambiqué et cohérent (les plans se répondent les uns aux autres), la vie et l’amour comme un puzzle géant. Claude a rencontré Catrine, la moitié qu’il lui manquait. Une femme en marge, qui n’a aucune envie de périr dans un bureau. Claude, qui a avec le temps  a acquis de nombreuses responsabilités, se retrouve en elle. Il mène une vie qui ne lui ressemble pas, attend que le temps passe, parle avec l’Horloge parlante.

« Le temps s’est arrêté » : ces mots, cette idée, peuvent très bien survenir lorsque l’on éprouve une plénitude avec l’objet de son affection. Je t’aime Je t’aime est l’histoire d’un amour fou. Celui de deux âmes fragiles qui ne se reconnaissent pas dans le monde et qui ont du mal à y évoluer. Les premiers sentiments, les premières découvertes, tous ces moments où l’on se sent bien se mélangent à une fin de relation inacceptable, une solitude à deux extrêmement douloureuse. Resnais opte pour une œuvre labyrinthique, idée géniale pour illustrer la confusion des sentiments, leurs paradoxes. Des scènes se répètent, elles semblent pourtant différentes, des fantasmes (la femme de la baignoire) se réalisent, des erreurs surviennent (la souris de laboratoire qui débarque sur la plage), une confession de crime se dévoile…Le temps, les souvenirs, déforment les choses.

Tourbillon créatif qui ne cesse de captiver, ce film magnétique intrigue et obsède. Touché de bout en bout par la grâce, questionnant le couple autant que l’existence, délivrant des dialogues souvent amusants et faussement futiles, toujours sublimes. Nous sommes invités à reconstituer une vie, à assister à ses hauts et ses bas, ses moments d’éclats et ses désillusions. Dans le rôle principal, Claude Rich est magnifique. C’est un homme, c’est l’Homme. Il est toujours au cœur des plans, il ère avec élégance, contribue à donner cette sensation qui prête à croire que l’on est dans un ballet sans fin.

Je t’aime Je t’aime est un jeu de miroirs, l’histoire d’une fissure amoureuse, intérieure, qui vient tout foutre en l’air. Mélancolique plutôt que d’être dépressif, étrangement coloré, onirique. Le portrait d’un homme paradoxalement passionné et éteint. C’est un film dont on tombe amoureux. C’est mon cas, je suis tombé amoureux de Claude Ridder, j’avais envie de rester avec lui quand le générique de fin est arrivé. Et le retour à la réalité m’a presque fait mal. C’est alors qu’on se dit que tiens, l’amour c’est souvent comme un film  : quand on s’y attache on voudrait qu’il dure toute la vie, mais n’est-ce pas impossible ?

Cette œuvre magnifique, chef-d’œuvre absolu du cinéma, devait être présentée à Cannes en 1968. Mais la grève aura eu raison de sa présentation. Des décennies plus tard, les cinéphiles marqués au fer rouge par ce bijou sont nombreux. Original, ambitieux, romantique, profond, tout sauf linéaire… C’est comme l’amour, il serait dommage de vivre sans avoir vu ça au moins une fois.

Film sorti en 1968 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3