CINEMA

LA BEAUTÉ DU DIABLE de René Clair : question de destin

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Le professeur Faust est admiré de tous pour son savoir et ses découvertes scientifiques. Mais quand il se retrouve seul, dans sa vaste demeure, il se sent en situation d’échec. Echec de ne pas avoir percé autant de mystères qu’il l’espérait, et échec surtout d’être possiblement passé à côté de « la vraie vie », de la jeunesse. Le voilà alors  poursuivi par un messager du diable, Méphistophélès, qui tient absolument à lui faire signer un contrat. Il promet à Faust de lui rendre sa jeunesse, d’être son serviteur…Faible, le professeur va se laisser séduire par l’idée d’une jeunesse retrouvée et va progressivement vendre son âme au diable. Quitte à faire voler en éclat sa réputation, tourner le dos à ses convictions. Devenu le jeune Henri, Faust va se retrouver au cœur d’une spirale infernale…

Adapté très librement du mythe de Faust, La beauté du diable est une œuvre étrange, qui suscite des émotions contrastées. Atmosphère très particulière, évoquant l’univers du conte tout en brouillant les repères…L’excellente idée du film est de jouer avec les physiques opposés de Michel Simon et Gérard Philippe. Le premier, vieillissant, fatigué, va prendre l’apparence du diablotin de second, vif et sexy. Ainsi, la figure de Faust devient machiavélique et son âme s’incorpore à un physique angélique. Si passer d’un corps à l’autre est si simple, préserver son âme, l’essentiel invisible, l’est moins. Les deux acteurs cabotinent beaucoup, ce qui peut à la fois troubler et s’avérer jouissif (notamment avec Michel Simon qui semble se muer en ogre).

Plus que le scénario, plus que l’interprétation, c’est bien le style (baroque) de l’œuvre qui emporte tout sur son passage. Difficile de mettre des mots dessus mais il règne un climat à la fois glauque et inquiétant, qui glace le sang. Comme si René Clair parvenait, par de petites fulgurances, à matérialiser toute la noirceur, la faiblesse de l’âme humaine. Et s’il est bien entendu question du temps qui passe, d’un homme qui refuse de vieillir, d’accepter le poids des années, La beauté du diable parle aussi et surtout de l’insatisfaction constante de l’être humain. On est vieux, on aimerait redevenir jeune. On redevient jeune, on aimerait être reconnu et riche. On devient riche, on veut conquérir le cœur d’une princesse…A force de courir après ce que l’on n’a pas, on ne peut que se mettre en danger. Et si le diable qu’a Faust en face de lui, c’était juste un peu lui-même  au final ?

Nous emmenant dans le quotidien, les doutes, les paradoxes d’un homme impuissant face à son destin, ses envies, La beauté du diable est l’histoire d’une fuite perpétuelle, de désillusions et de désenchantements. Et aucun happy end, même finement amené, ne pourra nous sortir de la torpeur dans laquelle le long-métrage nous a plongé. Derrière ses airs de grand film classique, une œuvre troublante…

Film sorti en 1950 et disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3