CINEMA
LA CAPTIVE de Chantal Akerman : la posséder
Simon (Stanislas Merhar) vit avec sa grand-mère et sa compagne Ariane (Sylvie Testud) dans un bel appartement bourgeois parisien dans lequel ont lieu quelques travaux. Simon et Ariane forment un beau et jeune couple mais la jalousie du garçon est visiblement en train de devenir maladive. Pour lui, l’amour est une fusion et il veut tout savoir de celle qui partage sa vie. Une amie qu’il a en commun avec Ariane, Andrée (Olivia Bonamy), accepte d’accompagner le plus possible la jeune femme dans ses déplacements pour faire des comptes-rendus à Simon. Mais cela ne lui suffit pas : il ne peut s’empêcher d’espionner celle qu’il aime éperdument, écoutant derrière les portes, la suivant dès que l’occasion se présente. Le fait qu’Ariane reste constamment évasive sur ses sorties, qu’elle s’emmêle les pinceaux sur ses rendez-vous et rencontres contribue à rendre fou de jalousie et de rage son compagnon. Petit à petit, il se persuade qu’Ariane entretient des liaisons avec des jeunes femmes. Se sentant impuissant face à ces rapports différents, il songe à rompre…
Adaptation libre, opaque, d’un tome d’A la recherche du temps perdu de Proust, La captive est une œuvre atmosphérique, étrange. Drôle de couple tout d’abord. Alors qu’on voit Simon en pleine filature, on pense qu’il est amoureux transi, maladif, d’une inconnue dont l’image nous est apparue sur un vieux film de vacances que le beau blond disséquait. Mais non : cette jeune femme est sa compagne. Impossible pour lui de laisser une part de mystère, il veut la posséder. Ariane est donc la captive de la jalousie de celui avec lequel elle vit. Il est toutefois intéressant de noter qu’elle n’apparaît pas captive entre les murs de l’appartement, pourtant étouffant. Elle y déambule en toute liberté, en chantant. Elle est là mais elle cultive le mystère, ses pensées nous échappent. C’est sans doute ce qui dérange Simon qui a le besoin de la suivre ou d’obtenir des comptes-rendus d’Andrée, transformant ainsi l’extérieur en prison.
On le sait : la jalousie peut nous amener à divaguer. Jaloux des hommes puis des femmes qui entourent l’objet de son affection, Simon envisage constamment le pire et les réponses évasives à ses questions que lui octroient Ariane n’arrangent rien. Quand il songe au fait que la belle puisse entretenir des amours lesbiens, on sourit. Puis ses soupçons deviennent contagieux voire forment une sorte d’évidence. Ariane lui avouera, alors qu’ils pourraient se séparer, que pour elle l’amour relève davantage de l’équation « 1+1 ». Soit tout l’opposé de lui. Mène-t-elle une double vie ? A nous de le déduire.
Etrange est aussi le rapport charnel du jeune couple. Ils ne dorment pas ensemble, et quand Simon a envie d’Ariane, il attend qu’elle s’endorme pour se frotter à elle. Une façon de la pénétrer sans la pénétrer, du sexe sous forme de non-dit. Car lors de ces moments de sexualité ritualisés, Ariane ne dort jamais vraiment. Très forte est la scène durant laquelle Simon prend son bain alors qu’à côté de lui, comme surélevée, dans une douche séparée par une vitre rendant ses formes floues, Ariane se lave en même temps. Comme s’il y avait toujours quelque chose entre eux, de façon plus ou moins volontaire.
Chantal Akerman livre ici un film passionnant , très maitrisé dans sa forme et merveilleusement abstrait dans le fond. Le cadre est carré mais il reste toujours de l’espace, du souffle, de quoi projeter ses propres fantasmes et obsessions. Alors qu’il joue d’une lenteur langoureuse, le film tient sur un fil, ne perd jamais en tension et intrigue, questionne constamment. Comme ce mystère qu’est l’amour…
Film sorti en 2000. Disponible en DVD et VOD