FICTIONS LGBT

LA CONFUSION DES SENTIMENTS de Etienne Périer : le savoir et l’interdit

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Roland (Pierre Malet), jeune étudiant à la beauté éclatante, mène une vie dissolue à Paris. Alors qu’il reçoit la visite de son père, il décide de reprendre les choses en main et va finir son année universitaire dans une petite ville de Province, loin des tentations. A peine arrivé, il fait la connaissance de Robert (Michel Piccoli), professeur de philogie et fin connaisseur de Shakespeare. Charismatique et avenant, l’homme l’aide à trouver un logement : une chambre juste au-dessus de son appartement.

Fasciné par son professeur érudit, Roland passe la majeure partie de son temps libre en sa compagnie, s’abreuvant de ses paroles, s’ouvrant au savoir. Ils se retrouvent essentiellement dans le bureau de l’appartement de Robert, que ce dernier prend souvent soin de fermer. Ils sont ponctuellement interrompus dans leurs échanges par Anna (Gila von Weitershausen), épouse belle mais discrète du professeur, la première victime de ses sautes d’humeur. Un lien très fort se tisse entre « le maître » et son élève à tel point qu’ils se retrouvent tous deux dépassés.

Il apparaît rapidement évident que Robert est un homosexuel semi-refoulé consumé par son désir pour Roland. Du côté de ce dernier, les choses sont plus floues, confuses. Il est dans un rapport d’adoration, ne veut pas voir qu’il est aux yeux de son mentor un objet de désir. La relation connaît son apogée alors que Roland se porte volontaire pour aider Robert à finir un livre sur le Théâtre du Globe qu’il n’était jusqu’ici jamais parvenu à boucler. Face à l’intensité de ce qui les unit, les deux hommes finissent involontairement par se faire du mal… 

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Adaptation libre du roman de Stefan Zweig, La confusion des sentiments est un téléfilm qui fut diffusé en 1981 sur FR3 (France 3). Un pari audacieux à une époque où il était rarissime de trouver des fictions dépeignant avec finesse l’homosexualité à la télévision. La réalisation d’Etienne Périer n’a rien à envier aux films de cinéma : elle est élégante, fluide, et retranscrit parfaitement les états d’âmes, l’enfermement et la frustration des différents protagonistes.

Ce long-métrage doit beaucoup à la subtilité du jeu de ses trois comédiens, tous exceptionnels. Michel Piccoli donne beaucoup d’ampleur à son personnage de professeur souffrant de son incapacité de pouvoir vivre au grand jour ses attirances. Une homosexualité contrainte d’être refoulée, cachée, vécue dans la douleur et le non-dit. Comme il le confessera vers la fin du film, lors d’une scène magnifique, il est prisonnier de ses émotions, consumé par ses pulsions. On retient cette image du professeur, parti sur un coup de tête à Paris avec son élève, passant la nuit dans une chambre d’hôtel, avec une porte qui les sépare. La nuit tombée, il veut ouvrir la porte mais Roland a mis le verrou. Le lendemain matin, ce dernier trouve la chambre de Robert déserte. Il a fui. A chaque fois qu’il est à deux doigts de « passer à l’acte », d’oser avouer son inclination, le prof se dégoûte lui-même, se met en colère et disparait.

A la fois un brin candide et refusant aussi de vouloir réaliser ce qui est en train de se passer, Roland souffre terriblement des moments où son mentor le rejette, le laisse sans nouvelles. Roland c’est Pierre Malet qui incarne toute la beauté, le trouble et la sensualité de la jeunesse. Il suffit qu’il retire son pull ou une partie de son costume pour que cela soit d’un érotisme si ravageur que cela en devient destructeur. Le comédien incarne un personnage d’une grande douceur, sensible, chamboulé. Roland ne peut poser des mots sur ce qu’il ressent vis à vis de Robert. Il n’y a pas de désir mais une forme d’amour inqualifiable, pleine de curiosité, d’affection, de dévotion et d’admiration. Il est « accro » à son professeur et n’arrive pas à gérer la situation.

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Il y a enfin Gila von Weitershausen qui campe Anna, personnage d’épouse sacrificielle. Elle s’est mariée à un homme qui ne la désirait pas, en ayant bien conscience de ce dans quoi elle s’embarquait. Amoureuse malgré tout, elle accepte les coups, reste présente, tout en s’octroyant des moments de liberté, de plaisirs charnels avec d’autres hommes. Son rapport à Roland est ambigu, teinté de jalousie et de désir (comme si en le séduisant lui, elle touchait quelque part Robert qui se refuse à elle depuis presque toujours).

Pudique et profond, narrant une amitié amoureuse ou une autre forme d’amour inqualifiable, La confusion des sentiments est autant le récit de quêtes identitaires, d’une homosexualité douloureuse, que d’une relation prof-élève inoubliable, source de peines, de plaies qui ne se refermeront jamais mais aussi et surtout de l’éveil d’un jeune homme qui en se blessant et en apprenant finit bien par se trouver.

Film sorti en 1981. Disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3