FICTIONS LGBT

LA VICTIME (Victim) de Basil Dearden : homosexualité et chantage

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Jack Barrett (Peter McEnery) est paniqué. Il court, il a volé de l’argent, est plus que jamais sous pression. Il cherche à contacter un avocat en pleine ascension, Melville Farr (Dirk Bogarde) mais ce dernier refuse de répondre à ses appels. Arrêté par la police, refusant d’avouer la raison pour laquelle il a volé de l’argent, Jack craque et se suicide dans sa cellule. Un ami proche, Eddy Stone (Donald Churchill), va alors à la rencontre du mystérieux avocat Farr. Il se trouve que ce dernier et Jack partageaient une liaison secrète. Une relation découverte par des maitres chanteurs qui ont finalement poussé Jack Barrett à bout. Homme respecté et marié, Melville Farr va essayer de retrouver les auteurs du chantage, au risque de briser sa vie sociale et privée. Dans une Angleterre où être gay est passible d’années de prison, les « invertis » sont plus que jamais l’objet de mépris et une cible facile pour les maitres chanteurs…

La victime (Victim en V.O) sortit en 1961 et reçut un accueil assez désastreux. Les salles ne voulaient pas diffuser le film, la censure était plus que jamais de mise. Heureusement, la critique essaya comme elle put de soutenir ce long-métrage audacieux et militant et à défaut d’être un succès commercial, il passa plus ou moins à la postérité. Revoir cette œuvre aujourd’hui nous rappelle qu’il n’y a pas si longtemps encore l’homosexualité était réprimée dans des sociétés pourtant modernes. Pertinent est un dialogue du film entre deux policiers où l’un condamne volontiers cette sexualité différente et où son collègue lui fait remarquer qu’il est puritain et qu’à une époque cela aussi était préjudiciable.

victim basil dearden

Ce n’est pas un hasard si le personnage principal, Melville Farr, est un avocat. La victime pointe du doigt les failles de la loi qui est loin d’être toujours juste, morale. La première demi-heure du film est aussi déroutante que fascinante : on ne sait pas du tout de quoi il est question, on suit Barrett qui tente de fuir, tout est sombre, angoissant. Chaque personnage semble cacher quelque chose, être mal à l’aise. Et Basil Dearden livre un brillant portrait d’homosexuels d’âges variés, s’acceptant plus ou moins dans une société intolérante.

Dépassant le statut d’œuvre militante, le long-métrage parvient à nous plonger dans une ambiance singulière et oppressante. Ici , un regard malveillant ou une simple lettre suffisent à déclencher la terreur. Personne n’est tranquille, des pourritures observent les faibles pour en tirer avantage pour des raisons pseudo-idéologiques ou juste pour le fric. Réalisation élégante qui joue avec les contrastes, les ombres, un scénario haletant qui dévoile des personnages ambigus puis attachants. On pense à la relation toute particulière entre Farr et sa femme, au courant de ses penchants pour les hommes mais qui le pensait « guéri ». Le titre du film est fort car il clame que les homosexuels ne sont pas dangereux : ils sont les victimes d’une société aux lois douteuses, incapable d’admettre qu’un homme qui aime un homme est une chose naturelle. Un film-témoignage poignant sur une époque que l’on ne regrette pas.

Film sorti en 1961 et disponible en DVD // Présenté au Festival Chéries Chéris 2019 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3