CINEMA

L’ADIEU À LA NUIT d’André Téchiné : monstres fragiles

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André Téchiné retrouve pour la huitième fois Catherine Deneuve pour L’adieu à la nuit, drame qui raconte le désarroi d’une femme face à son petit fils sur le point de partir faire le djihad.

Muriel (Catherine Deneuve) mène des jours heureux dans son ranch. Elle est ravie de recevoir la visite de son petit fils, Alex (Kacey Mottet Klein), qui vient la voir avant d’aller s’installer au Canada. Elle n’est pas la seule : Lila (Oulaya Amamra), petite-amie d’Alex toujours aussi éprise de lui malgré la distance, attend avec impatience ces retrouvailles.

Au fil des jours, Muriel réalise toutefois que son petit fils a changé. Il s’est converti à l’Islam de façon très passionnée, sous l’influence de Lila. Ils ne vont pas à la mosquée, Lila estimant qu’il est plus intéressant de s’instruire et de pratiquer grâce à ce qui se trouve sur Internet. Ce qu’Alex et Lila cachent, c’est que le jeune homme ne va pas partir au Canada. Il est en relation depuis un certain temps avec Bilal (Stephane Bak), un garçon qui l’a convaincu de devenir un soldat et d’aller faire le djihad en Syrie.

Quand Muriel découvre ce qui est en train de se tramer, elle est logiquement paniquée. Elle essaie de comprendre, de raisonner son petit fils. Mais n’est-il pas déjà trop tard ?

l'adieu à la nuit

S’emparant d’un sujet tristement d’actualité, fort et difficile, André Téchiné parvient à livrer un drame d’une grande justesse, en gardant la bonne distance avec chacun de ses personnages. Catherine Deneuve est une fois de plus magnifique et nous offre des scènes très émouvantes à travers son personnage de grand-mère pleine de vie et subitement dépassée par l’inquiétante radicalisation de son petit fils.

Le film est en partie inspiré du livre de David Thomson, « Les Français jihadistes », et le personnage d’Alex, formidablement campé par Kacey Mottet Klein, montre à quel point ce mal de la radicalisation peut toucher n’importe qui d’un tant soit peu vulnérable.

Alex est un bon garçon qui n’a pas eu une existence facile. Sa mère est morte suite à un accident quand il était petit, il ne s’en est pas remis et est en froid avec son père qui a refait sa vie. On apprend au détour de conversations qu’il a eu des soucis, qu’il y a eu des moments où il n’allait pas bien, où il s’inventait des histoires. Il a trouvé en Lila une amie, un soutien. Cette fille ,qui a grandi en foyer et qui a beaucoup de colère intériorisée, l’a initié à « son » Islam. La religion lui a fait du bien mais hélas comme le souligne le personnage de la grand-mère, cette pratique religieuse n’a pas eu lieu dans des mosquées traditionnelles. Lila a pioché ce qu’elle voulait bien piocher sur Internet et s’est rapidement laissée happer par des interprétations dangereuses.

l'adieu à la nuit

Ici, clairement, le web c’est le mal. Devant son écran, on oublie sa solitude et on évacue son mal-être en s’imbibant de textes et de vidéos qui doucement mais sûrement font tourner la tête. Alex pense avoir trouvé un apaisement, avoir compris quelque chose, aspire à une vie meilleure après la mort. En réalité il est juste embrigadé et refoule grâce à sa quête des douleurs qu’il ne veut pas affronter (la perte de la mère et – spoiler ! – une attirance suggérée pour les garçons).

Dans un second rôle vraiment pas évident, Oulaya Amamra est elle aussi excellente. Lila est un personnage très ambivalent qui ne réalise pas le mal qu’elle fait. Elle a perdu la raison à force de s’abreuver de textes toxiques. Elle aussi a fui une existence difficile (d’enfant abandonné pour sa part) et s’est laissée gagner par une force obscure, se muant petit à petit en monstre prêt à orchestrer le pire.

l'adieu à la nuit

Subtilement, Téchiné alterne les scènes de vie et de bonheur simple dans le ranch à la quête de lumière qui mêle droit aux ténèbres du jeune Alex. Il y a aussi en cours de route l’incursion d’un très beau personnage d’ancien jihadiste repenti, Fouad (Kamel Labroudi), que va rencontrer Muriel et qui montre que tout n’est pas forcément perdu tout en rappelant que ces gens qui peuvent partir pour faire la plus atroce des choses ne sont pas que des monstres. Ce à quoi ils sont prêts à s’engager est terrible, terrifiant, abominable, mais derrière les actes il n’y a que des gamins perdus et c’est peut-être ce qu’il y a de plus triste.

Magnifique film d’acteurs, drame émouvant, L’adieu à la nuit apporte aussi filigrane une belle idée et un bel espoir : face à la corruption de l’esprit par des mots, il reste peut-être encore les mots de ceux qu’on aime pour tenter de ramener à la raison et à l’apaisement.

Film sorti le 24 avril 2019

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3