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L’ADIEU À MOUSTAFA de Philippe Vallois : quand la réalité devient plus forte que la fiction

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Auteur de films cultes comme « Johan » ou « Nous étions un seul homme », Philippe Vallois propose avec « L’adieu à Moustafa » un film original et barré, aussi attachant qu’hilarant.

À la base, le projet de Philippe Vallois était de faire un film avec Nabil Moustaqil. C’était le récit de Francis (Philippe Vallois), ancien gigolo, partant pour une semaine dans un gite avec Sofiane (Nabil Moustaqil), un prostitué sans papiers dont il s’est amouraché. L’homme mur est ravi à l’idée de passer des moments privilégiés avec son amant et d’en apprendre plus sur son histoire. C’est Sofiane qui a eu l’idée de ce séjour et il semblerait qu’il n’ait pas choisi par hasard d’aller dans la campagne isolée où ils se trouvent : il apprend à Francis qu’il a trouvé dans des poubelles un petit classeur en forme de répertoire référençant des objets anciens qu’il serait possible de trouver dans les alentours. Une sorte de chasse aux trésors s’esquisse dans la forêt entre deux moments de plaisir. Mais Sofiane est pris d’hallucinations de plus en plus fréquentes, en particulier la vision d’un chat maléfique et menaçant.

Cette histoire, écrite par Philippe Vallois en trois semaines et qui devait donc être essentiellement tournée en une semaine va se révéler plus dure à réaliser que prévu : à peine au bout du premier jour, son acteur ne supporte pas d’être dans un trou paumé où il se sent prisonnier. Nabil veut rentrer à Paris et plante ainsi son ami réalisateur. Plutôt que d’abandonner le projet de métrage, Philippe Vallois décide de marier fiction et réalité. L’adieu à Moustafa alterne ainsi les passages en noir et blanc du film qui devait être tourné et passages en couleur qui montre les coulisses d’un tournage rocambolesque.

Ne manquant pas de ressources, le cinéaste décide de filmer tous les décors alors qu’il se retrouve seul dans son gite et de continuer plus tard  le tournage avec Nabil à Paris en le faisant tourner sur fond vert ! Le spectateur, placé dans la confidence, assiste donc à la réalisation et à la vision d’un film aux effets kitsch et voit l’histoire un peu noire du départ devenir une véritable comédie car au final rien de ce qui est projeté à l’écran n’est comme initialement pensé et prévu. Effets spéciaux à l’arrache, difficultés drolatiques de Nabil Moustaqil à se fondre dans son personnage (il n’est pas acteur et il n’a pas beaucoup de patience), échanges tordants entre le cinéaste et sa muse « bigger than life ».

l'adieu à moustafa philippe vallois

C’est une oeuvre qu’il n’est pas aisé de raconter tant elle est folle et originale. Visuellement cela dépasse les frontières du bon et du mauvais goût avec un aspect facétieux complètement jouissif. Le film est imprévisible car il finit par laisser le réel guider sa narration et que Nabil Moustaqil par sa façon d’être et de s’exprimer est un feu d’artifices permanent, une source inépuisable de surprises.

Au-delà de son esthétique et de sa narration inclassables, L’adieu à Moustafa est avant tout une belle déclaration d’amour de Philippe Vallois à Nabil Moustaqil, d’un homme d’âge mur à un gigolo dont il s’est pris d’affection et dont la relation tarifée est empreinte de sentiments. Ils se désignent comme des frères parfois ou comme des amis. Philippe Vallois explique que quand il paie Nabil il a l’impression de donner de donner de l’argent à un proche qui en a besoin. Il y a une vraie tendresse entre eux, une complicité qui irradie l’écran. Cela donne lieu à des moments extrêmement drôles qui jouent du décalage entre les deux hommes (ils ne sont pas de la même génération, ils n’ont pas la même culture, ne sont pas du même pays ni du même milieu social – Philippe Vallois a l’expérience, les connaissances alors que Nabil est un homme plus physique, spontané, avec une pureté et une naïveté aussi rafraichissante qu’amusante et craquante).

l'adieu à moustafa philippe vallois

A travers ce long-métrage, Philippe Vallois montre sans fard et sans fausse pudeur la sexualité des hommes du troisième âge. Et les liens humains et de tendresse qui peuvent se créer entre ces hommes qui ont recours à des gigolos pour tromper leur solitude et ces derniers qui s’attachent aussi à leur manière. L’ensemble est drôle et tendre, nostalgique aussi (Philippe Vallois est rejoint à un moment dans son gite par son vieil ami Juan Lazaro qui a frôlé la mort – l’occasion d’évoquer quelques souvenirs dont un Paris gay des années 1970 encore si peu évoqué au cinéma).

L’oeuvre est inclassable, incroyablement libre et touche profondément de façon inattendue alors qu’on se laisse nous aussi séduire par un Nabil Moustaqil très sexe et charmant, représentant une sorte de dernière figure du désir pour un homme qui s’amuse avant de possiblement renoncer à la sexualité pour des raisons d’âge et de santé.

C’est le film le plus drôle et le plus cool que j’ai pu voir cette année, de loin. Pour sa sincérité, pour sa représentation cash et peu habituelle de la sexualité gay, pour la perruque de Philippe Vallois, ses effets spéciaux improbables et pour le fameux « Moustafa » du titre dont je vous laisse la surprise de découvrir l’identité 🙂

Film présenté au Festival Chéries Chéris 2019

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3