L’AIR DE LA MER REND LIBRE de Nadir Moknèche : espoir de liberté

By Gaspard Granaud | 8 juillet 2024

Joli petit film sur un garçon et une fille poussés par leurs familles respectives à se fondre dans le moule contre leurs propres envies, L’air de la mer rend libre repose avant tout sur le charme de ses interprètes. 

Rennes. Saïd (très craquant Youssouf Abi-Ayad) est célibataire depuis bien trop longtemps au goût de ses parents. Du moins ils le pensent célibataire… Saïd, conscient que les siens n’accepteraient pas son homosexualité, mène une double vie et cultive en cachette sa relation avec son petit ami Vincent (Arturo Giusu Périer), un musicien qui lui assume complètement qui il est. 

Alors que Zineb (Saadia Bentaïeb) et Mahmoud (Zinedine Soualem), les parents de Saïd, montent avec Rabia (Lubna Azabal) un mariage arrangé entre lui et la fille de cette dernière, Hadjira (Kenza Fortas), l’étau se resserre. Saïd se sent obligé d’accepter pour ne pas attirer les soupçons et faire plaisir aux siens mais cela va être la goutte d’eau qui va faire exploser sa relation avec celui qu’il aime vraiment. 

Après avoir songé à littéralement partir en courant de la cérémonie arrangée, Saïd se résout à se ranger. Il épouse donc Hadjira et fait petit à petit connaissance avec elle et s’attache à elle. Comme lui, elle ne rêvait pas de cette union. Elle a été poussée par sa mère qui essaie de sauver son honneur après qu’Hadjira ait baigné dans des affaires troubles en étant tombée amoureuse d’un dealer… 

Evidemment, ce mariage entre deux personnes qui ne se connaissaient pas et ne s’aimaient pas à l’origine ne va pas être évident. Si Saïd et Hadjira s’entendent bien, Saïd se révèle incapable de contenir ses pulsions refoulées. Il prétend sortir pour courir le soir afin de rencontrer des inconnus pour des moments de plaisir éphémères souvent dénués de tout affect. Combien de temps pourra-t-il continuer son manège ? Hadjira est en effet loin d’être sotte et elle se questionne logiquement sur l’absence de libido de son époux et son aspect fuyant. Le masque pourrait bien finir par tomber et confronter tout le monde à une vérité que personne ne souhaite ni voir ni entendre… 

Le poids des traditions ne va souvent pas de pair avec les aspirations de la jeunesse et des amoureux. C’est une fois de plus le cas ici. L’air de la mer rend libre ne brille pas spécialement par sa mise en scène, assez sobre et dans les clous d’un certain cinéma d’auteur français. Si Nadir Moknèche est un cinéaste qui ne se distingue pas à tous les coups pour sa réalisation, il a toujours su créer des personnages attachants dans des récits qui le sont tout autant. Le casting de ce long-métrage se révèle absolument parfait des premiers aux seconds rôles et cela contribue à rendre ce film à la trame pas franchement surprenante plaisante et touchante. 

Nadir Moknèche montre à quel point le regard des autres, les qu’en-dira-t-on, peuvent pousser certains parents à agir contre les aspirations et émotions de leurs enfants. Le film fonctionne car il nous met à la fois en empathie avec Saïd qui est prisonnier de son mensonge imposé par le milieu où il a grandi et avec Hadjira qui est une jeune femme douce, qui rêve de s’émanciper, d’aimer, d’exister tout simplement. Les circonstances vont faire que Saïd va potentiellement lui faire du mal. Mais quelque chose se tisse pourtant bien entre eux car Hadjira est plus ouverte d’esprit et moderne que ceux qui l’entourent. 

A travers le personnage de Saïd, Nadir Moknèche raconte le quotidien franchement pas évident des jeunes mecs racisés dans l’univers gay. On voit se matérialiser à l’écran la vie de ces mecs qui ont des profils sans photo type « rebeu discret » sur Grindr et autres. De par leur difficulté voire incapacité à assumer leur homosexualité, il est difficile pour eux de faire tenir des relations sentimentales et souvent ils tombent dans des clichés pornographiques. On voit ainsi Saïd adopter un look fétichiste sportswear, forcer sa virilité et participer à des plans où il fait le domi. Car c’est un fait : souvent les gays ont tendance à renvoyer cette image-là à ces garçons et les poussent plus ou moins volontairement à répondre à leurs fantasmes. Le coeur brisé par sa séparation avec son copain fatigué d’être avec quelqu’un dans le placard, Saïd sous ses faux airs de « macho scred » se laisse objectifier ou s’auto-objectifie lui-même. 

A l’instar de son titre doux, L’air de la mer rend libre, malgré les difficultés qu’il raconte et filme, garde une tonalité douce, une délicate sensibilité, une sensualité aussi, et essaie d’insuffler de l’espoir dans les trajectoires de ses protagonistes. Si les choses ne peuvent pas changer, rien n’empêche d’essayer de créer ses propres codes. Car contrairement aux anciens, ceux plus jeunes peuvent à la fois avoir le courage et l’audace d’avancer sans se laisser dicter leur existence par le regard des autres. 

Film sorti en 2023 et disponible en VOD