CINEMA

L’ARNAQUEUR de Robert Rossen : ne pas être un loser

By  | 

Eddie dit « Fast Eddie » (Paul Newman) est un joueur de billard des plus talentueux. Il gagne sa vie en jouant des parties avec des hommes qu’il arnaque. Accompagné de son ami Charlie, il reproduit à chaque fois la même combine : il entre dans un établissement, fait mine d’être un piètre joueur, amène les autres à miser gros sur une partie puis révèle son talent et empoche l’argent. Insolent et sûr de lui, Eddie vit au jour le jour.

Son quotidien bascule quand il entame un duel avec « Fats » (Jackie Gleason), une pointure du billard. Ils se livrent une bataille sans merci qui durera plus d’une journée ! Si au départ Eddie fait des étincelles et se prépare à gagner très gros, il s’égare en buvant de l’alcool et finit par tout perdre. Le manager de « Fats » balance en sa présence qu’il est un loser. Une attaque qui va profondément le blesser. Ayant perdu toutes ses économies, prenant ses distances avec Charlie, Eddie ère sans trop savoir où aller.

Il fait la connaissance ,dans une gare, de Sarah (Piper Laurie), une jeune femme blessée par la vie, dépressive et alcoolique. La mélancolie qui les habite les amène à se rapprocher. Ils finissent par vivre ensemble, s’aimer, mais ne parviennent pas pour autant à être heureux : Eddie ne se remet pas de son échec. Quand le manager véreux de « Fats », Bert Gordon (George C. Scott), revient et lui propose de jouer pour lui (il gardera 75 % des gains), Eddie accepte. Une décision qui va causer sa chute et celle de Sarah. 

l'arnaqueur paul newman

l'arnaqueur paul newman

Souvent cité comme l’un des meilleurs films avec Paul Newman, L’arnaqueur commence de façon ludique. Facétieux et arrogant, « Fast Eddie » dupe son monde et empoche de jolies sommes grâce à ses talents au billard. Le personnage semble sorti de nulle part : on sait très peu de choses de son passé, il n’a visiblement pas d’attaches, si ce n’est son amitié avec Charlie à laquelle il aura vite fait de mettre un terme malgré une complicité longue de plusieurs années. Un héros solitaire dont le monde va s’écrouler en perdant une partie décisive. En échouant face à « Fats », Eddie perd non seulement beaucoup d’argent mais c’est surtout son orgueil qui en prend un coup. Il ne supporte pas d’être désigné comme un loser. Le spectateur comprend peu à peu que c’est bien sa propre vie que joue le séduisant Eddie sur la table. La tension des parties, filmées de façon vertigineuse et riches en regard qui en disent long, se mêle à une sensation de malaise alors qu’il apparait clairement que le personnage principal est dépassé par des élans d’autodestruction.

l'arnaqueur paul newman

Derrière son air plein d’assurance, Eddie semble souffrir d’un rapport très conflictuel avec lui-même. Pas étonnant qu’il s’attache et tombe amoureux de Sarah, belle et désabusée, presque fataliste. Ils évoluent dans une société dans laquelle ils ne trouvent pas leur place, se retrouvent à se faire encore et toujours manipuler et abuser par des hommes véreux comme Bert Gordon. Une spirale infernale qui donne la nausée. Si Sarah a baissé les bras et tente de s’accommoder des frustrations et injustices, Eddie ne peut s’empêcher de vouloir miser encore et encore, prendre sa revanche, guidé par sa soif, sa nécessité d’être un « winner ». Il comprendra hélas trop tard que c’est peine perdue, après avoir misé les seules choses qui ne se monnaient pas.

Doté d’une mise en scène brillante, d’un rythme singulier qui fait ressentir toute la douleur intérieure de ses personnages, L’arnaqueur est d’une rare noirceur, propage un parfum bouleversant de désespoir. Paul Newman et Piper Laurie sont magnifiques dans des rôles de marginaux malgré eux, à fleur de peau.

Film sorti en 1961 et disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3