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L’ART DE LA FUGUE de Brice Cauvin : hésiter

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Paris. Antoine (Laurent Lafitte) ne se sent pas très bien même si à première vue il a tout pour être heureux : après avoir quitté l’Education Nationale il travaille désormais pour un Musée en compagnie de sa meilleure amie Ariel (Agnès Jaoui), il est en couple depuis près de 10 ans avec Adar (Bruno Putzulu), beau psy toujours aux petits soins pour lui. Mais alors qu’ils doivent rendre leur appartement dans la capitale et qu’Adar propose d’acheter une maison à Montreuil, Antoine commence à se poser des questions. Est-il prêt pour cet achat commun, cet engagement ? Est-il vraiment heureux avec son compagnon dont il ne partage plus le lit depuis des mois  ? Doit-il résister à son attraction pour Alexis (Arthur Igual), ancien amant qui l’attire irrésistiblement mais pas forcément « fiable » ?

Rongé par des doutes qu’il intériorise, le jeune trentenaire observe autour de lui pour ,qui sait, trouver des réponses à ses questionnements. Mais il faut dire qu’il n’est pas aidé par son entourage : sa mère (Marie-Christine Barrault) et son père (Guy Marchand) n’ont jamais vraiment donné une image heureuse de leur couple et poussent leurs enfants à se poser sans penser à leur bonheur / son frère Gérard (Benjamin Biolay) est en pleine déprime, toujours amoureux de sa femme qui veut pour sa part divorcer, est sans emploi fixe et vit à nouveau chez ses parents dans sa chambre d’ado / son autre frère Louis (Nicolas Bedos) se prépare à se fiancer puis se marier avec Julie (Elodie Frégé), belle fille idéale mais qui ne le fait plus vibrer, qu’il trompe depuis quelques temps avec une femme qui, elle, pourrait peut-être s’avérer être la bonne… Entre situations cocasses, rêveries et angoisses, les portraits croisés des membres d’une famille en quête d’évidence.

l'art de la fugue film

Adaptation libre du roman éponyme de Stephen McCauley, L’art de la fugue est une jolie surprise. Brice Cauvin a réuni un beau casting et son adaptation séduit par son rythme un peu bizarre, son mélange de tendresse et d’amertume, de petites joies et de grandes angoisses. Si la mise en scène est un peu classique, elle ne manque pas d’élégance. Et si le montage semble un peu trop saccadé, abrupt, au départ, on finit par se fondre avec beaucoup de plaisir dans l’univers d’Antoine et de ses proches. La grande réussite du film tient dans sa façon très précise de dépeindre le quotidien de ses différents protagonistes. Tout est extrêmement bien vu, bien senti et les thématiques abordées ne manqueront pas de trouver un écho auprès de spectateurs qui pourront très facilement s’identifier à l’un ou l’autre membre de cette famille haute en couleurs.

Le sujet principal est on ne peut plus universel : chacun se demande ici s’il est vraiment heureux. Encore faudrait-il savoir ce qu’est le bonheur exactement… Antoine et son frère Louis sont sans doute les plus touchés par l’incertitude. Antoine se sent bien avec son compagnon sur lequel il peut compter, se reposer, qui le « supporte », qui veut construire, se poser avec lui. Il a encore des sentiments mais la passion n’est plus là : ils ne dorment plus ensemble, quand il se balade dans les rues de Paris, Antoine ne peut s’empêcher de regarder les autres hommes; quand il recroise un ex, il se met à rêver d’une liaison, d’une nouvelle romance. Mais la vie n’est pas une œuvre de cinéma et les choses ne se passent pas toujours comme on les espère ou les fantasme. L’amant potentiel n’a pas forcément quelque chose de mieux à offrir et finit par renvoyer Antoine à sa propre solitude. Le mal qui le ronge est celui du doute : il est incapable de peser le pour et le contre, de savoir où il en est, de prendre une décision ferme. Cette difficulté à trancher, choisir, de peur de se tromper ou de blesser envahit également Louis. Ce dernier ne regarde presque plus sa copine avec qui il songe pourtant se marier pour faire plaisir à ses parents. Il pense dans un premier temps avoir peut-être trouvé LA femme de sa vie auprès de sa maîtresse mais à la moindre baisse de régime il laisse entrevoir quel insatisfait permanent il est.

En opposition à ces deux hommes tentés par le désengagement, il y a Gérard. Après s’être laissé tourmenter par sa femme désireuse de divorcer, il se met à cultiver un début de relation avec Ariel, la meilleure amie et collègue d’Antoine. Gérard est sans doute celui qui se laisse le plus envelopper par le cours des choses. Il vit les événements comme ils viennent, sans se poser trop de questions, accueille un potentiel nouvel amour les bras grands ouverts.

Si les répliques drôles et situations cocasses ne manquent pas, L’art de la fugue est un film avant tout mélancolique, qui renvoie au mystère de l’existence, des sentiments, à la quête perpétuelle du bonheur. Confrontés à l’abstraction de l’amour (comment aimer, comment savoir si l’on aime vraiment, comment agir quand les choses ne se présentent pas comme des évidences mais plutôt comme de grands dilemmes qui étouffent ?), les personnages hésitent, tentent d’avancer, se perdent aussi, souvent. Au rythme des joies et des peines, tout le monde rêve d’un ailleurs, d’une certaine liberté. Subtilement, avec beaucoup de délicatesse, Brice Cauvin nous emporte dans l’étrange ronde de la vie. Et c’est souvent beau et émouvant.

Film sorti en 2015 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3