CINEMA

L’AVENTURE DE MADAME MUIR de Joseph L. Mankiewicz : amour fantôme

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Londres, début du XXème siècle. Lucy Muir (Gene Tierney) vit avec sa petite fille et sa gouvernante dans la maison de sa belle-famille. Son mari est mort depuis quelques temps déjà et elle envisage de se reconstruire en cherchant une nouvelle maison. Une idée qui ne réjouit guère sa belle-mère et sa belle-soeur. Qu’importe : Lucy a du tempérament et entend bien suivre ses désirs. Reste à trouver une demeure qu’elle pourra payer avec sa pension. A l’agence immobilière, elle est intriguée par un petit cottage bon marché situé sur la côte Sud de l’Angleterre. On lui déconseille d’y emménager mais encore une fois, la belle n’en fait qu’à sa tête et obtient une visite.

Elle découvre que l’habitation est hantée par son ancien propriétaire, que l’on dit mort suite à un suicide : le Capitaine Daniel Gregg (Rex Harrison). Ses apparitions impromptues et souvent violentes ont fait fuir tous les potentiels locataires. Mais Lucy n’est pas du genre à se laisser impressionner : elle décide de venir vivre avec sa fille et sa gouvernante dans ce lieu particulier. Alors que le Capitaine revient la hanter, elle lui fait face et parvient à gagner son respect puis sa sympathie. Au fil des jours, une relation très particulière se noue entre eux. Et alors que Lucy est menacée d’expulsion, sa pension ayant été suspendue et n’ayant pas les moyens de continuer à louer le bien, le fantôme lui propose de rédiger ses mémoires et ainsi lui permettre de gagner de l’argent avec son livre. L’écriture va les rapprocher mais une fois le manuscrit achevé, Lucy ,en allant le proposer à un éditeur, fait la rencontre d’un écrivain pour enfants, Miles Fairley (George Sanders). Ce dernier ,très séducteur, lui fait miroiter une love story bien réelle et la pousse à s’éloigner du Capitaine…

Adaptation d’un roman de R.A. Dick, L’aventure de Madame Muir (The Ghost and Mrs Muir en VO) est sans aucun doute l’un des classiques les plus romantiques du cinéma américain. Soit l’histoire d’amour présumée impossible entre une veuve encore jeune et d’une beauté éclatante et le fantôme d’un Capitaine sensible derrière son côté bougon et ironique. Les dialogues, tour à tour caustiques ou poétiques, sont l’un des grands attraits de cette œuvre au noir et blanc ensorcelant. On suit dans un premier temps la rencontre pour le moins atypique entre les deux personnages principaux, la réaction particulière de Madame Muir face à l’apparition d’un fantôme joueur. Contre toute attente une amitié se met en place et le spectateur, comme l’héroïne, se fiche du réel puisqu’il a envie de croire à cette histoire, aux images. Si la première partie du film joue avec le décalage des situations, offrant quelques jolis moments de comédie, peu à peu se dessine une histoire plus sentimentale, plus mélancolique.

Homme des mers ayant connu de nombreuses aventures, le Capitaine Gregg est mort trop tôt, de façon un peu stupide et surtout seul. Il entend bien garder sa maison et effrayer ceux souhaitant l’occuper. Mais Lucy Muir le séduit et il s’habitue puis se réjouit de sa présence. Ils se cherchent, se taquinent, partagent ensemble un acte créatif, deviennent de plus en plus proches… Quand Lucy rencontre Miles Fairley, le fantôme peine à masquer sa jalousie. On a deviné qu’il était tombé amoureux de la belle veuve. Mais, romantique et attentionné derrière sa fausse goujaterie, il n’entend pas condamner le désir de Madame Muir de vivre une histoire réelle. Gregg sait qu’il ne peut lui offrir une histoire plus charnelle, qu’en restant attachée à lui elle vivra en partie coupée de « la vraie vie ». Il la laisse donc vivre sa vie, disparaissant en lui laissant le doute sur la véracité de leurs échanges : au bout d’un moment, Lucy se persuade que tout n’était qu’un rêve… Hélas, la réalité sera bien moins satisfaisante que ce qu’elle en attendait et les promesses de Miles Fairley se révéleront être du vent…

Il émane de ce film de Joseph L. Mankiewicz une folle poésie, une immense croyance dans la puissance du cinéma, capable de rendre l’impossible possible. Jusqu’à un final sublime, on espère que Lucy Muir pourra retrouver son fantôme pour vivre avec lui un amour unique, au-delà de la réalité. La mise en scène, subtile et délicate, rend crédible un récit pourtant improbable à l’origine. Et même s’il parle aussi de désillusions, de solitude, du temps qui passe, de l’insouciance qui s’envole et de la mort, L’aventure de Madame Muir se regarde et se vit comme un magnifique conte de fées, vibrant et intemporel. On ressort émerveillés et légers de ce film-fantasme.

Film sorti en 1947. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3