CINEMA

LAWRENCE D’ARABIE de David Lean : le pouvoir et le sang

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Gros film de 3h36, Lawrence d’Arabie nous plonge dans le désert pour une grande aventure. Adapté des écrits de Thomas Edward Lawrence, le film de David Lean, au-delà de son récit historique, de la guerre et de la politique, dessine un portrait d’homme aussi fascinant qu’ambivalent.

1916. T. E. Lawrence (Peter O’Toole), jeune officier britannique, n’est pas très apprécié ni valorisé par ses collègues qui le trouvent trop fantasque. Le responsable des services secrets au Proche-Orient, Mr. Dryden, l’envoie enquêter sur les révoltes arabes contre l’occupant turc. Il doit retrouver le Prince Faysal (Alec Guinness).

A peine fait-il ses premiers pas dans le désert que Lawrence n’en fait qu’à sa tête, guidé par une rare confiance en lui. Lui qui jusqu’alors était plutôt mis au placard se rêve en héros et est porté par un nouveau souffle. Son ambition et son humanisme charment chaque personne qui se présente sur son chemin.

Après des débuts difficiles (à juste titre car il a provoqué la mort de son acolyte du début d’aventure pour une histoire de puits) , il sympathise avec le shérif Ali Ibn El Kharish (Omar Sharif) qui va devenir à la fois son bras droit et son confident. Le peuple arabe est fasciné par cet anglais pas comme les autres qui veut tellement les porter qu’ils finissent par le considérer comme un des leurs. Le Prince Faisal lui donne sa confiance et la guerre aux turcs est lancée, notamment via le très ambitieux projet de prendre la ville d’Aqaba.

Par son charisme et son courage, ses qualités de négociateur et de leader, Lawrence devient aux yeux de beaucoup un héros. Troquant ses habits d’officier pour une tunique, starifié par le reporter américain Jackson Bentley (Arthur Kennedy), rien ne semble pouvoir l’arrêter. Mais alors que l’ennemi parvient un jour à le coincer, quelque chose se brise et ses plus sombres aspects vont ressortir. Hier dévoué au peuple arabe, Lawrence va jouer un jeu de plus en plus trouble et céder à ses pires pulsions…

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C’est une oeuvre considérée par beaucoup comme un chef d’oeuvre et on peut aisément comprendre pourquoi : David Lean signe un très grand spectacle, avec des décors aussi dépaysants que magnétiques, des batailles intenses et parfaitement chorégraphiées, un suspense politique très bien servi par les dialogues aussi bien que par le jeu des acteurs. La vision n’est pas toujours facile (il y a de réelles lenteurs ça et là) mais le personnage principal fascine de bout en bout.

Le portrait saisissant d’un anglais qui au final n’a jamais été valorisé par les siens et qui se passionne pour le peuple arabe, allant jusqu’à en prendre l’apparence. A travers les combats qu’il mène dans le désert, Lawrence semble enfin trouver la place dont il rêvait. Il est respecté, admiré et ne semble plus avoir peur de rien. Mais cet élan le propulse sans doute trop haut trop vite et il va à la fois le payer cher personnellement et le faire payer cher plus ou moins intentionnellement à ceux qui l’ont soutenu.

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Peter O’Toole est forcément remarquable dans la peau de ce drôle de héros à la personnalité un tantinet queer. Le caractère crypto gay de l’oeuvre est indéniable. Il n’y en a ici que pour les hommes, les femmes ne semblent pas exister, Lawrence témoigne d’une certaine préciosité, sa relation avec Ali Ibn El Kharish a ce je ne sais quoi d’amour platonique… On pense aussi à ces deux jeunes hommes qu’il engage à ses côtés et qui ont un lien très fort entre eux. Et puis il y a cette scène de viol, aussi subtile que perturbante…

Mine de rien, ce long-métrage raconte les amitiés amoureuses viriles et questionne la masculinité entre deux combats stratégiques. Si on peut supposer que Lawrence refoule son homosexualité, ce n’est pas la seule chose qu’il refoule : toute la seconde partie montre sa lente mais certaine chute alors qu’il réalise qu’il prend du plaisir lorsque se déploie les effusions de sang lors des batailles ou quand il est amené à tuer quelqu’un. Le héros humaniste du début se transforme en bête sanguinaire et mégalo, qui ne respecte plus rien, ni les autres, ni ses valeurs, ni lui-même.

Mirage des héros, des promesses, des espoirs de grandeur et de liberté : cette oeuvre visuellement bluffante nous emmène très loin, au coeur du désert, là où les natures les plus belles et surtout les plus cruelles peuvent se révéler.

Film sorti en 1963. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3