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LE BLEU DU CAFTAN de Maryam Touzani : patience et générosité

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Nouveau long-métrage de la réalisatrice Maryam Touzani présenté au Festival de Cannes, Le Bleu du Caftan nous plonge comme son titre pouvait le laisser deviner dans une petite boutique de caftans au Maroc. Un décor original et dépaysant pour un film de coming out pas banal et qui parvient, avec beaucoup de douceur et de subtilité, à se démarquer des clichés et chemins obligés. 

Médina de Salé, Maroc. Halim (Saleh Bakri) a repris le magasin traditionnel de caftans de son père avec sa femme Mina (Lubna Azabal). Halim confectionne les tenues avec passion et minutie, prenant son temps (parfois au grand dam de clients pressés), faisant de chaque pièce une véritable petite oeuvre d’art. Concentré, appliqué et taiseux, il laisse l’aspect commercial à sa femme au caractère bien trempé qui gère la boutique d’une main parfois ferme. 

L’artisanat c’est pas tous les jours facile et le couple a du mal à trouver une forme de relève pour les aider : les apprentis ont tendance à défiler, à vite baisser les bras, n’ont plus forcément l’amour du métier. Quand le jeune Youssef (Ayoub Missioui) débarque en apprentissage, il assure être très sérieux et motivé. Mina, à qui on ne la fait pas, reste sur ses gardes alors qu’Halim s’enthousiasme de cette nouvelle recrue qui ne compte pas ses heures et qui a l’air d’avoir soif d’apprendre. 

Le magasin de caftans aspire à l’évidence les vies d’Halim et de Mina. Cette dernière doit se ménager en raison de problèmes de santé. Son mari fait de gros horaires et rentre souvent tard. En secret, il va parfois au hammam où il trouve des hommes avec qui silencieusement il s’isole dans une cabine pour répondre à ses pulsions homosexuelles qu’il refoule depuis toujours. 

Deux évènements vont bousculer le cours des choses. Il s’avère que Youssef le jeune apprenti est lui aussi homosexuel, plus jeune et moins honteux, et qu’il n’est pas insensible au charme d’Halim. Une attirance réciproque se tisse petit à petit au fil des jours. Mais Halim a d’autres choses auxquelles penser en priorité : son épouse, touchée par un cancer, a beau se battre, elle semble abdiquer progressivement et va être contrainte de rester à la maison. Tout va se mélanger dans la tête de cet homme qui cherche à bien faire et qui malgré son homosexualité aime sincèrement celle qui est « toute sa vie ». 

le bleu du caftan film
le bleu du caftan film

Maryam Touzani nous entraîne ici dans un Maroc où la tradition est aussi charmante (les passages dans la boutique comme une déclaration d’amour à l’artisanat, la chaleur et la beauté des rues) qu’asphyxiante (la police omni présente et qui fait du zèle à chaque ruelle, le regard et les jugements des autres qui planent toujours comme une menace, l’impossibilité encore de vivre sa vie librement en tant que femme et évidemment en tant que gay). 

On comprend qu’Halim n’a pas eu le choix étant jeune : s’imaginer en couple avec un garçon n’était pas une option. Pour cet homme pas très affirmé et sensible, l’injonction d’entrer dans le rang s’est faite naturellement au contact de Mina. Ils se complètent parfaitement, elle est un roc pour lui, ils sont ensemble dans l’intimité et dans le travail. Dure en affaires, parfois sèche avec ses collaborateurs ou clients, Mina est aussi et surtout sa complice, celle qui est toujours aux petits soins pour lui. Derrière son armure elle peut être drôle, douce et infiniment généreuse. 

le bleu du caftan film

Si les circonstances font qu’Halim doit se forcer dans l’intimité pour entretenir le mensonge de son hétérosexualité, il existe pourtant un amour sincère et réel vis à vis de sa complice de toujours. Il aimerait être à elle tout entier… mais l’orientation sexuelle, n’en déplaise aux esprits encore obtus, ne se choisit pas. Il a beau tout faire pour refouler, par moments il craque et va au hammam. Et quand le jeune et charmant Youssef se retrouve dans son quotidien, la tension monte naturellement… 

Comme Halim qui prend son temps pour faire ses caftans, la réalisatrice Maryam Touzani prend son temps pour tisser les portraits de ses personnages et étendre joliment les scènes de confection comme les éclats de vie qui parcourent son film. Il faut être patient, se laisser cueillir, et force est de constater qu’on ressort de la salle avec, tel un beau caftan, quelque chose qui reste. 

Outre son atmosphère dépaysante, enivrante, d’une douceur presque hypnotique par moments et d’une sensualité subtile, cette oeuvre délicate se distingue par des personnages très touchants et riches en nuances. Il n’y a pas de bons ou de mauvais. Chacun cherche à bien faire en prenant en considération l’autre et en composant avec ses propres désirs. Ainsi, le triangle amoureux qui s’annonce ne sera pas banal, d’une humanité par moments belle à en mouiller les yeux. 

le bleu du caftan film

La romance naissante entre Halim et Youssef peut aisément faire chavirer les coeurs mais c’est pourtant ici Lubna Azabal (GRANDE comédienne) qui tire une fois de plus son épingle du jeu à travers le magnifique personnage de Mina, très loin d’être l’habituelle épouse éplorée victime d’un mari dans le placard. 

Film sorti en France au cinéma le 22 mars 2023

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3