FICTIONS LGBT

LE CERCLE de Stefan Haupt : une revue gay à Zurich à la fin des années 1950

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1958. Alors que l’homosexualité est encore condamnée dans de nombreux pays et que le Paragraphe 175 sème la terreur en Allemagne, de nombreux gays s’exhilent à Zurich. Si là-bas il n’est pas non plus possible de s’assumer ou de vivre ses attirances au grand jour, des soirées existent et permettent aux garçons de se rencontrer. Des soirées organisées par un club s’intitulant « Le cercle » qui édite une revue trilingue riche en textes et photos homoérotiques. Cette publication précieuse et réconfortante pour bon nombre d’homos contraints de rester dans le placard est distribuée, à Zurich et à travers le monde, par correspondance dans le plus grand des secrets. Un professeur trentenaire, Ernst Ostertag (Matthias Hungerbühler) décide un jour de mieux apprivoiser ses propres désirs et rejoint le groupe, pénétrant dans un monde nouveau où le temps de réunions ou de bals, il peut enfin être libre et vivre sa sexualité. Très vite, il tombe sous le charme de Röbi Rapp (Sven Schelker) séduisant jeune homme blond qui se plaît à s’illustrer dans des numéros transformistes. Alors qu’ils entament une relation passionnée, la cruelle réalité du monde les rattrape. Plusieurs gays sont assassinés par des prostitués et au lieu de les protéger la Police fait des victimes de véritables bourreaux. Les gigolos sont relâchés, les agressés qui ont perdu leur vie sont décrits comme des pervers manipulateurs, des raids sont organisés pour malmener la communauté. Au cœur de ce climat hostile, le Cercle se retrouve particulièrement fragilisé…

le cercle film stefan haupt

Lauréat du Teddy du meilleur film documentaire / essai à la Berlinale 2014, Le cercle (Der Kreis en VO) revient sur une page méconnue de l’Histoire de la communauté gay. Passé le traumatisme de la seconde guerre mondiale, des hommes tentent de vivre dans le secret leur sexualité et leurs amours au cœur de Zurich. Le film raconte avant toute chose l’histoire de la revue Le cercle, fondée par un artiste et militant, ou comment une publication peut apporter réconfort et force à une minorité stigmatisée, rabaissée. C’est à travers le regard de Ernst, professeur en devenir, cultivé, issu d’une famille bourgeoise, que l’on pénètre dans un univers libérateur, magique et euphorisant. Il y a quelque chose de très beau dans le regard de ce personnage quand il lit la revue pour la première fois. Comme pour un film, une chanson ou l’art en général, une revue peut permettre de se sentir appartenir à un groupe, de ne plus être seul, d’être enfin compris. Les bals organisés par le club permettent aux garçons de se relâcher, d’évacuer la frustration.

La première partie marque en quelque sorte l’apogée du Cercle, avec ses fantaisies, son souffle de liberté. Les mecs peuvent baiser dans tous les sens, l’amour avec un autre homme devient possible, pour les moins chanceux de jeunes prostitués offrent dans les toilettes leurs charmes… Même s’il se sent revivre au contact des membres de son nouveau club, qu’il s’envole en trouvant dans les bras du jeune Röbi un partenaire fidèle, Ernst n’est jamais complètement apaisé. Son éducation et le poids d’une société encore très intolérante font que la tension reste permanente au quotidien, d’autant plus qu’il aspire à être professeur dans une école pour petites filles (dont le directeur est au passage aussi un homo dans le placard). La deuxième partie marque la descente aux enfers d’un groupe d’idéalistes très attachants qui deviennent la cible de la Police et de l’opinion publique suite à une série d’agressions dont ils sont pourtant les grandes victimes.

Formellement hybride, le projet mélange fiction (la fin des années 1950 et le début des années 1960) et documentaire (le réalisateur a retrouvé les vrais Ernst et Röbi, qui racontent leur rencontre, leur amour et leur calvaire face à la caméra, entre deux images d’archives). Ce choix peut troubler (on a parfois plus envie de rester dans la fiction que le documentaire et inversement) même s’il donne à l’ensemble une certaine ampleur. C’est un film très bien interprété, qui nous fait replonge dans une autre époque, qui nous raconte une histoire méconnue jusqu’alors. C’est par moments assez émouvant, toujours divertissant, attachant, même si on pourra regretter que la mise en scène soit sage, un poil convenue, faisant ce Cercle une chronique intéressante et intrigante à défaut d’être totalement bouleversante.

Film sorti en 2015 et disponible sur Outplay VOD 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3