FICTIONS LGBT
LE CLAN de Gaël Morel : liens du sang et liens du coeur
Bienvenue à Annecy où l’eau et les montagnes encerclent la ville. Dans ce décor propice au rêve et à l’évasion, la vie ne fait souvent pas de cadeaux aux gens des environs. C’est le cas de la famille du film, composée de trois garçons aux destins différents et croisés.
Il y a d’abord Marc (Nicolas Cazalé, tout rasé). Impulsif, toujours fourré dans les mauvais coups, ce garçon au sang chaud a du mal à composer avec la mort de sa mère. Alors, il oublie en prenant des substances, en dealant, en passant du temps avec ses potes. Mais depuis quelques temps, ses affaires de dope lui posent problème et son vendeur a comme une envie de lui faire la peau.
Ensuite, il y a Christophe (Stéphane Rideau). L’ainé. Jadis, il trainait et était lui aussi plongé dans de sales affaires. A tel point qu’il a fini en prison. Il a purgé sa peine et a décidé que maintenant, il allait s’en sortir. En pleine recherche de stabilité, il va tenter de reconstruire sa vie sur un meilleur modèle et essayer par la même occasion de panser les blessures familiales qui l’entourent.
Enfin, il y a Olivier (Thomas Dumerchez). Le cadet. Discret, taciturne, il semble avoir du mal à devenir un homme. Il se cache dans les vestiaires, a peur de la façon dont les autres peuvent le percevoir. Cacherait-il un secret ? Olivier est le coeur fragile de la fratrie.
À cette famille de sang, se rajoute Hicham (Salim Kechiouche). L’ami de Marc et de Christophe mais aussi celui qui tient un rôle à part dans la vie d’Olivier. Ce garçon qui fait de la Capoeira va subir son statut de pièce rapportée. Des destins tragiques dont on se relève, un désir d’évolution, l’impulsion de renaître. C’est l’histoire de ce Clan.
C’est mon film préféré de Gaël Morel et aussi sans doute l’un des films à thématique gay français qui m’a le plus touché. Il y a quelque chose d’obsédant dans Le Clan, long-métrage que je qualifierais de « parfait dans ses imperfections ». Car les petites maladresses ici et là renforcent étrangement son charme, car le réalisateur, ici accompagné de Christophe Honoré au scénario, délivre une oeuvre brute, pleine de sincérité, à la pureté émotionnelle qui à de maintes reprises nous attrape et nous renverse. Certaines scènes font très mal et sont presque insupportables à voir (celle du chien par exemple) et d’autres sont complètement suspendues, hors du temps, touchées par la grâce.
Au moment de sa sortie, le film avait plutôt reçu un bon accueil critique sans non plus déclencher les passions. Personnellement, dès le premier visionnage, j’ai été touché en plein coeur et je me souviens avoir acheté le DVD et l’avoir regardé trois dois d’affilée. C’est un de ces films au goût de reviens-y, pour pleins de raisons.
Les acteurs déjà. Nicolas Cazalé embrase l’écran en bad boy dévoré par la colère, le manque de sa mère morte, son incapacité à communiquer avec son père et ses frères. Sa performance fait l’effet d’un grand cri puissant. Stéphane Rideau trouve ici une sorte de rôle de la maturité en grand-frère en pleine rédemption, déterminé à aller de l’avant. Le jeune Thomas Dumerchez est une boule de sensibilité, on a envie de le prendre dans nos bras pendant tout le film. Et bien sûr Salim Kéchiouche en « frère de coeur » ou coeur tout court qui se dessine subtilement et en douceur en héros romantique comme condamné à rester en arrière-plan (comme les dernières lignes du scénario qu’il récite et qui disparaissent au loin jusqu’au générique de fin).
Les seconds rôles sont très bons aussi et existent avec force même quand ils n’apparaissent que dans une seule scène (c’est le cas par exemple d’Aure Atika).
Mais ce qui accroche sans doute plus que tout c’est la mise en scène. Gaël Morel essaie ici beaucoup de choses, son film est tout en mouvements, un peu comme l’eau (entre symbole de vie et de mort) qui est très présente du début à la fin. Il y a dans ce film une multitude de plans marquants, somptueux, qui restent en tête, qui se déroulent pour mieux se figer à jamais au plus profond de notre être.
La caméra sonde avec brio la masculinité, ses clichés, ses codes, ses multiples facettes avec une sensualité dévorante. Le cinéaste parlait lors de la campagne de promotion de « fiction homophile » et on est tenté de dire qu’absolument tout ici transpire l’homoérotisme. C’est peut-être l’un des films français les plus homoérotiques qui ait jamais été fait. On peut voir de l’homoérotisme pratiquement PARTOUT ! La façon de filmer les regards, les peaux, les visages, les gestes : le désir s’infiltre à l’écran en permanence. A l’exception du personnage secondaire d’Aure Atika et de celui de la mère (qu’on ne voit qu’en photo), il n’y a que des hommes partout.
C’est le récit de 3 frères en 3 parties correspondant à 3 temps et saisons et Gaël Morel réalise en quelque sorte un film triple. Avec Marc / Nicolas Cazalé, il revisite le teen movie (un côté Fureur de vivre de banlieue avec les fantasmes et fétichismes qui vont avec) et le mélodrame familial. Cette première partie est la plus violente et agit comme une grosse claque. La deuxième partie qui met en avant le personnage de Christophe / Stéphane Rideau relève davantage de l’ordre du film social. Le désir de réinsertion d’un mec bien et l’espoir qu’à force de bosser, on finit par être récompensé. Un segment très réaliste (les seconds rôles sonnent particulièrement juste), porté par la détermination d’un certain optimisme dans un monde où pour se redresser il faut apprendre à filer droit et à ne pas faire de cadeau au travail comme à ses proches. Enfin, la dernière partie est celle où les coeurs s’envolent et se brisent. Il s’agit de celle du spleen adolescent, du premier amour sacrifié, du drame romantique. Thomas Dumerchez y bouffe l’écran et la voix off de Salim Kechiouche qui lit une sorte de lettre d’adieu nous entraîne vers une fin douce-amère qui continue de me retourner à tous les coups. On la ressent au plus profond de notre chair et de notre coeur, c’est magnifiquement écrit et ,pour moi, inoubliable.
Impossible de ne pas mentionner Camille Rocailleux qui a signé la musique originale (qui n’est jamais sortie à mon plus grand désespoir et à laquelle se greffe entre autres un très beau morceau de The sleepy Jackson, Morning Bird). Dès le tout début du métrage, la musique donne beaucoup de souffle et d’émotion aux images. C’est le combo « pop and film » parfait : tout est parfaitement choisi, en totale harmonie, donnant presque à ce portrait de frères de sang et de coeur, cette fresque familiale plus tragique qu’elle n’en a l’air, des allures d’opéra moderne.
Il y a des films comme ça qui appuient sur des choses qui vous touchent tellement que ça dépasse les mots. Le Clan me fait cet effet-là et les années qui passent n’y changent rien (bien au contraire). Pour popandfilms, c’est un grand et très beau film.
Film sorti en 2004 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen