FICTIONS LGBT
LE CORPS DU DÉLIT de Léolo Victor-Pujebet : le militantisme et l’amour
Compagnon artistique et compagnon tout court de Mathieu Morel, Léolo Victor-Pujebet a présenté son premier long-métrage au Festival Chéries Chéris 2023, Le corps du délit. Une oeuvre singulière, référencée, engagée, entre colère, réflexions et très belle déclaration d’amour.
Jean (Mathieu Morel), jeune vidéaste, se retrouve enfermé en l’attente d’un procès. Il a attaqué des policiers qui avaient causé la mort d’un ami lors de manifestations tout en filmant cet acte de vengeance. Lucide concernant le système, il attend sa sentence dans sa cellule et crève d’envie de revoir celui qu’il aime (incarné par le toujours excellent et si chou Julien-Gaspar Oliveri). Cet enfermement est l’occasion pour lui de se repasser en quelque sorte le film de sa vie, de repenser à la naissance de son premier et unique amour apparu en même temps que l’avènement de son militantisme. Aux convictions politiques et aux cris de colère face à des gouvernement semant la terreur et endormant la population avec des démocraties de pacotille se mêlent les cris du coeur…
Le long-métrage s’ouvre sur des témoignages réels de femmes qui ont été traumatisées et/ou mutilées par des forces de l’ordre, évoquant un impossible retour à la normale. Leur crime : avoir simplement osé manifester. On n’attendait pas forcément Léolo Victor-Pujebet dans ce registre engagé et force est de constater que Le corps du délit est d’une impressionnante maturité venant d’un premier long de jeune réalisateur. Erudit et référencé, riche en citations et clins d’oeil, brillamment écrit, ce film a tout ce qu’il faut pour éveiller ou réveiller les consciences. Par petites couches, avec douceur et intelligence, Léolo Victor-Pujebet délivre une oeuvre déchirante sur une jeunesse qui n’attend plus rien d’un système qui broie encore et encore inlassablement souvent dans l’impunité la plus totale. On nous sature d’informations, de désinformations, on régule les manifestations et on tend à les rendre inaudibles, on étouffe la brutalité d’un gouvernement et d’un monde où rien ne va dans le bon sens.
Le corps du délit appelle à un réveil, une prise de conscience, incite à se battre, ne pas se laisser faire, avec l’utopie, la rage, la folie même de se dire que tout reste à renverser pour ne pas continuer à sombrer. S’il est très « lettré » et stylisé, le film porte la voix d’une jeunesse qui aussi cynique et abattue puisse-t-elle être face au système qui l’entoure n’entend pas rester silencieuse.
Le style peut facilement faire penser à certaines oeuvres de Godard, tout en y apportant un côté queer rafraichissant. Car au très fort message politique, Léolo Victor-Pujebet entremêle des séquences pleines de désir et d’amour entre garçons (outre les flashbacks, pensées et autres rêveries montrant Jean et son amoureux, le film tisse un lien ambigu et hors des cases entre Jean et un garde énamouré).
L’univers carcéral a fréquemment été un territoire homoérotique pour le cinéma et les références à Jean Genet abondent ici. Mathieu Morel, filmé par le réalisateur qui est son compagnon, est une magnifique révélation en tant que comédien : sa voix, son phrasé, son regard, sa beauté juvénile irradient chaque plan. La caméra est complètement éprise de lui et ne se lasse pas de le filmer sous toutes les coutures avec une grande sensualité et un amour palpable à chaque plan.
On trouve dans ce très prometteur premier long-métrage autant de citations, de répliques que de plans marquants qui foudroient par leur poésie et leur beauté. Auteur à suivre.
Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2023