CINEMA

LE DÉMON S’ÉVEILLE LA NUIT de Fritz Lang : seconde chance

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Après plus de dix années d’absence, Mae (Barbara Stanwyck) revient dans sa petite bourgade natale. Ses grands rêves d’amour et de réussite se sont envolés et elle emménage chez son frère Joe (Keith Andes). Très vite, Mae tape dans l’oeil de Jerry (Paul Douglas), amoureux d’elle en secret depuis le plus jeune âge. Ce dernier est un homme bon, loyal, romantique et n’est autre que l’employeur de Joe. Jerry, pêcheur qui gagne bien sa vie et qui entretient dans sa maison son père et son oncle, voit en Mae la chance de sa vie pour former enfin un couple, bâtir une famille. Mais Mae a toujours cherché un homme fort, plein d’assurance pour la protéger et est, dans un premier temps, réticente à ses avances.

Quand Jerry lui présente son meilleur ami Earl (Robert Ryan), quelque chose se passe. Earl est marié mais malheureux en ménage, arrogant, séducteur. Il voit en Mae la femme dont il n’osait plus espérer la rencontre et commence à la draguer. Méfiante, ayant déjà été déçue suite à une liaison avec un homme marié n’ayant jamais divorcé, la belle prend ses distances et refuse de céder une fois de plus à l’appel de la passion. Contre toute attente, Mae accepte ainsi ce qui pour elle constitue un mariage de raison avec Jerry, auquel elle donne un enfant. Le couple connaît des jours heureux mais quand Earl divorce et revient faire la cour à Mae, elle ne parvient guère à lui résister. Mae va ainsi se retrouver une nouvelle fois obligée de choisir entre être une femme estimée respectable aux yeux de la société ou suivre ses pulsions…

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Adaptation d’une pièce de Clifford Odets , Le démon s’éveille la nuit (Clash by night en VO) s’ouvre sur de grandes vagues et des poissons pris dans les filets de pêcheurs. Le début du film nous plonge de façon quasi-documentaire dans ce qui constitue le quotidien de Jerry. On découvre aussi le personnage de Peggy (interprété par Marilyn Monroe) , travaillant dans une conserverie de poisson avec Joe, le frère de Mae. Les rapports hommes-femmes sont au cœur de ce drame social et sentimental. En effet, les mâles des environs ne comprennent souvent pas les réactions des belles avec qui ils partagent leur vie et sont majoritairement machos. Peggy avertit à plusieurs reprises le dominant et possessif Joe qu’elle ne se laissera pas emprisonner, brider, et ne tolérera pas qu’il lève la main sur elle. Mae, elle, avait fui sa petite ville pour tenter sa chance ailleurs et trouver un homme collant à ses idéaux, fort et protecteur. Mais elle s’est amourachée d’un homme déjà pris qui ne lui a pas offert de situation, la renvoyant à la case départ. Sa seconde chance, elle la tient avec Jerry, pas assez viril et aventureux à ses yeux mais assez bon et généreux pour lui permettre de couler des jours heureux, au calme. Le problème c’est qu’entre être prise dans les filets d’un bon mari, d’une vie rangée de ménagère et le torrent de la passion, Mae hésite. Dès le premier regard, le fougueux Earl lui fait de l’effet et si elle parvient à ne pas tomber dans ses bras au début, elle ne parviendra pas à refouler le désir ardent qui l’anime sur la durée, mettant en péril sa vie de couple et de famille, la seule chose qu’elle était parvenue à construire dans sa vie.

Dans les rues, la misère gronde, les ouvriers oublient leurs malheurs en se saoulant au bar du coin. Quelques-uns s’en sortent comme Jerry mais doivent composer avec des « parasites » : Jerry doit se coltiner un père alcoolique et déprimé depuis la mort de son épouse et vient en aide à un oncle aux airs de véritable rapace. Dans cette ville de pêcheurs où il ne se passe rien et où les perspectives sont très limitées, trouver l’amour finit par relever de l’obsession. C’est le seul bonheur, la seule distraction possible. Jerry donne tout ce qu’elle désire à Mae, rompant avec l’image du mari sévère et macho. Mais paradoxalement, alors qu’elle a toujours revendiquée son envie d’être une femme libre, Mae a besoin d’un homme qui la capable d’asseoir sa domination comme Earl.

L’intrigue est assez classique (le choix entre l’amour raison et l’amour passion , entre préserver sa famille en faisant des sacrifices ou suivre ses pulsions) mais joliment menée, bénéficiant d’un casting solide et habité. La mise en scène alterne discrétion et grands éclats, la fin (différant de celle de la pièce originale) est un peu attendue. Le démon s’éveille la nuit mérite le coup d’oeil pour l’atmosphère que parvient à imposer Fritz Lang, rendant compte de la solitude des ouvriers d’une petite bourgade au début des années 1950 et de la difficulté pour les femmes de trouver leur place dans une société qui ne leur fait pas de cadeaux.

Film sorti en 1952. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3