FICTIONS LGBT
LE LANGAGE PERDU DES GRUES de Nigel Finch : tel père, tel fils ?
Angleterre du début des années 90. Philip (Angus Macfayden) vit une histoire d’amour passionnée mais contrariée avec Elliot (Corey Parker). Le premier rêve d’amour fusion et le second tient à garder son indépendance. Alors que leur couple se brise, Philip entreprend d’achever son coming out amorcé avec ses amis et finit enfin par trouver le courage d’en parler avec ses parents. Ce qu’il ne sait pas c’est que son père, Owen (Brian Cox) , est lui-même un gay dans le placard. Owen est resté pendant des dizaines d’années aux côtés de sa femme Rose sans réellement la désirer et depuis peu découvre le milieu gay. Lorsqu’il apprend que Philip est « du même bord », il est bouleversé. Curieux, admiratif de la liberté de son fils, il est aussi renvoyé à sa propre culpabilité, son manque de courage. Comment avouer à son tour la vérité à ses proches ? Peut-il encore changer de vie ? En a-t-il vraiment envie ?
Téléfilm diffusé sur la BBC en Angleterre en 1991, adapté de l’œuvre de David Leavitt, Le langage perdu des grues (The lost language of cranes en VO) témoignait pour son époque d’une folle audace. Si aujourd’hui cette dernière est moins palpable, le film n’en apparaît pas moins comme une franche réussite, notamment pour la sobriété de sa mise en scène et la finesse de l’interprétation des acteurs et de l’écriture du scénario.
Le titre du film se réfère à l’histoire d’un enfant ayant inventé un langage en contemplant des grues, des dialogues hors norme. Y-a-t-il un langage spécifique à chaque couple ? Si oui, indéniablement ce langage n’est pas essentiellement constitué de mots. Et par couple on entend aussi bien couple d’amis, d’amants, d’amoureux, membres de la même famille. Le film de Nigel Finch s’attache ainsi à filmer l’invisible, ce qui lie et délie les différents êtres qui peuplent son film.
Si seulement les mots peuvent permettre de faire officiellement un coming out, si ces mêmes mots sont peut être les seuls à pouvoir faire basculer le cours des choses, le reste est tout aussi essentiel. Mère d’un homosexuel, Rose est plus que jamais sous le choc quand elle apprend la nouvelle car elle avait visiblement également décelé l’attirance de son mari pour les hommes. Plutôt que de le confronter à la vérité, elle a préféré se taire pour garder leur relation. Elle-même s’était laissée aller à une infidélité. C’est comme si entre le mari et la femme, séparés par leur désir sexuel, s’était tissé un contrat invisible, qui finit au bout d’un moment forcément par trouver ses limites.
En s’articulant sur deux quêtes identitaires, celle d’un père et d’un fils, de deux générations, deux visions et façon de vivre son homosexualité, Le langage perdu des grues devient sans mal un film fort et universel. Peu importe que les vérités blessent ou bouleversent, l’essentiel est de finir honnête avec soi-même.
Film diffusé en 1991 en Angleterre / Disponible en DVD aux éditions Optimale