FICTIONS LGBT

LE MATCH ULTIME d’Antonio Hens : Cuba, entre amour et hypocrisie

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La Havane, Cuba. Yosvani (Milton Garcia), la petite vingtaine, vit avec sa petite amie et son beau-père. Quand il ne travaille pas pour ce dernier, il passe la majorité de son temps au club de foot. C’est là qu’il va progressivement se lier d’amitié avec Reinier (Reinier Diaz). Reinier ,malgré son jeune âge, est déjà marié et papa et vit dans un appartement miteux avec sa petite famille et la grand-mère de son épouse. Pour subvenir à leurs besoins, et se faire aussi plaisir en s’achetant quelques habits, le footeux va régulièrement le soir au Malecon, la jetée au bord de l’océan, où les jeunes cubains louent volontiers leur corps aux touristes. Il y rencontre Juan (Toni Canto), un quadragénaire espagnol généreux. Reinier espère le revoir, joue la carte des sentiments pour le séduire et obtenir de l’argent.

C’est que le garçon est dépensier : plutôt que de tout donner à son foyer, il perd souvent de l’argent en participant à des jeux de rue ou en s’achetant les dernières fringues à la mode. Le quotidien, ordinaire et basé sur la survie, de Yosvani et Reinier va être bousculé lorsque Reinier, ivre, quittera après une soirée son ami en l’embrassant. Plus tard, sous l’effet de l’ecstasy, Yosvani osera l’embrasser à son tour dans les toilettes d’une discothèque. Si Reinier le rejette dans un premier temps, il finit par lui sauter dessus. Les deux garçons vont peu à peu tomber amoureux mais vont être très vite rattrapés par la réalité : Comment peuvent-ils s’aimer librement alors qu’ils sont chacun lié à une fille, une famille ? Reinier continuant à louer ses charmes à Juan pour payer ses dettes, le beau-père de Yosvani, véritable petite crapule, découvrant leur liaison, les beaux jours vont céder la place à la douleur, la peur de ne pouvoir être ensemble…

le match ultime antonio hens

Les films cubains traitant de l’homosexualité sont rares, Le match ultime (La partida en VO) est donc un véritable objet de curiosité. On pouvait craindre qu’en raison d’un petit budget l’image soit cheap, que la mise en scène s’efface derrière son décor et son sujet mais il n’en est rien. La photographie est très belle, très colorée, et la réalisation sensorielle en diable, nous faisant ressentir l’urgence qui habite la jeunesse cubaine, désirant échapper à la pauvreté, rêvant d’ailleurs, sous un soleil de plomb (l’occasion de montrer les deux jeunes héros torse nu pendant une bonne partie du métrage). Yosvani et Reinier évoluent dans une capitale pleine de paradoxes. L’épouse de Reinier et la grand-mère de celle-ci chez qui il vit sont au courant qu’il gagne sa vie en se prostituant ponctuellement. Cela ne semble poser de problème à personne, au contraire : la grand-mère l’encourage à séduire Juan, le reçoit comme un pacha lorsqu’il vient leur rendre visite, conseille au garçon de se marier en Espagne avec son client pour mieux subvenir aux besoins des siens.

Si le fait que beaucoup de jeunes se prostituent ne semblent pas choquer grand monde, l’homosexualité n’est pas pour autant acceptée. Reinier refuse ainsi de se voir comme un homosexuel. Yosvani ,de son côté, a de plus en plus de mal à cacher sa réelle identité et doit continuellement se forcer à faire l’amour à sa copine qu’il ne désire pas et qui a tendance à insister pour qu’il « l’honore » . Alors que les deux garçons, jusqu’alors amis, se rapprochent, leurs certitudes sont ébranlées. Pour Yosvani, son attirance vis à vis de Reinier est une évidence mais il est bien conscient qu’il ne peut l’aimer au grand jour, étant complètement dépendant de son beau-père, chez qui il vit et travaille. Il doit également contenir sa jalousie alors que Reinier reste proche de son épouse et poursuit ses passes sentimentales avec Juan. Pour le jeune prostitué, il n’est pas évident d’assumer cette attirance qu’il a toujours refoulé, associé à son travail. Pourtant, il est évident qu’il est lui aussi en train de tomber amoureux. Mais contrairement à Yosvani, Reinier vit encore dans une certaine pauvreté, a des dettes, doit penser à sa survie avant toute chose. Les deux portes de sortie qui s’offrent à lui sont autant d’embûches à sa romance naissante : devenir le protégé de Juan et partir avec lui en Espagne où être sélectionné pour jouer de façon professionnelle dans un club de foot.

le match ultime antonio hens

A travers l’histoire d’amour contrariée de deux garçons, Antonio Hens livre le portrait d’une jeunesse cubaine un brin perdue. Yosvani, Reinier et les jeunes de leur âge rêvent tous de faire la fête, de s’oublier, de s’habiller à la dernière mode, d’aimer librement, profiter de la vie. Mais la misère est une vraie barrière au bonheur. Au début du film, on voit Yosvani tout content car sa copine lui a acheté une belle paire d’Adidas. Il se les fera voler le lendemain, après avoir été tabassé. Drôle d’avenir qui se profile pour les kids des environs auxquels on répète qu’étudier ne sert à rien et où tout le monde semble gagner de l’argent de façon peu légale. Si La Havane apparaît comme une véritable jungle, le réalisateur en montre aussi bien les travers que la beauté. Esthétiquement, Le match ultime est très agréable regarder, ensoleillé, sensuel, avec une caméra au plus près des personnages, de leur visage, leur peau…

Un terrible sentiment nous étreint au fil de la vision : celui de la boule au ventre qu’ont ces jeunes gens sans perspectives, qui ne peuvent se réaliser, suivre leurs rêves ou leurs envies sans avoir à mentir, se souiller. Yosvani et Reinier ont la malchance de s’aimer dans une société hypocrite, violente. Malgré la dureté du quotidien, les deux garçons ne perdent pas espoir, continuent de rêver comme des gosses. La chute n’en sera que plus terrible. C’est un film  émouvant, sensible, abouti dans sa forme, très juste dans ses dialogues et ses situations, à la fois intime et politique. Une découverte.

Film produit en 2013 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3