CINEMA

LE PROCÈS de Orson Welles : spirale infernale

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Un matin, Josef K. (Anthony Perkins) est réveillé par d’étranges inspecteurs qui lui posent tout un tas de questions avant de l’informer qu’il va devoir comparaitre à un énigmatique procès. Impossible pour lui de savoir de quoi il en retourne, les hommes restant le plus vague possible. Petit à petit, la culpabilité pointe le bout de son nez alors que l’incompréhension règne. Et tout part en vrille : Josef K. a l’impression d’être poursuivi en permanence, a comme la sensation qu’au travail il est entouré de mouchards, ne parvient plus à se concentrer, risque de louper une promotion. Il provoque aussi involontairement le renvoi de sa voisine, Mademoiselle Burstner (Jeanne Moreau), une danseuse de cabaret dont il était épris. Cherchant à la fois à découvrir la vérité et à se défendre pour une accusation dont il ignore tout, notre homme perd peu à peu les pédales, noyé sous les contraintes et manipulations d’une « justice » enlevant tout espoir…

le procès orson welles

Adaptation assez libre de la célèbre œuvre de Franz Kafka, Le Procès (qui existe dans deux versions différentes d’après ce que j’ai pu lire sur le net) est un long-métrage extrêmement oppressant. Il ne faut que quelques secondes à Orson Welles pour plonger son personnage principal et le spectateur dans un état profond de nervosité. Les questions fusent, Josef K. est accusé à priori sans raison et se laisse entrainer sans le savoir dans une spirale infernale de laquelle il ne pourra bien entendu pas ressortir indemne. A partir du moment où l’on accuse, et cela même sans nous dire de quoi, nous pouvons tous nous sentir coupables. Car personne n’est irréprochable. S’agit-il de magouilles au travail ? D’une femme ? D’un secret personnel ? Dès lors que la justice s’immisce dans le quotidien d’un homme (et ici la situation est encore plus anxiogène puisque les inspecteurs débarquent directement dans la chambre de leur « accusé ») , la paranoïa peut commencer.

Ne s’attendant pas à être suspecté de quoi que ce soit, Josef K. s’emmêle les pinceaux, se condamne lui-même et perd son calme. La journée commence mal et les choses n’iront pas en s’arrangeant. Evoluant dans un univers étrangement chaotique (entre rues désertes effrayantes, passants rappelant les fantômes de l’holocauste ou bureau bondé où les hommes ont des airs de machine) , celui qui à priori ressemble à un gendre idéal va passer par tous les états. L’incompréhension d’abord, puis la colère face à l’absurdité de la situation avec laquelle il doit composer. A force de tourner en rond, Josef K. ira jusqu’à oublier que finalement aucune véritable preuve contre lui n’a été mise en avant. Il oubliera le « pourquoi ? » pour s’angoisser à propos du « comment ? ». Peu importe l’accusation face à laquelle il doit se défendre, il ne pensera plus qu’à tenter de s’en sortir. Mais plus il avance, plus il ouvre des portes, plus la sensation d’être face à une impasse est grande.

Dans un monde non daté, entre futur proche et cauchemar, les accusés sont soumis à une bureaucratie et une justice des plus sadiques. Certains attendent leur avocat ou leur procès depuis des mois ou des années, l’humain est traité comme un moins que rien, pris aux pièges d’un système dont il ignore les véritables règles et fonctionnements. Sous la menace, on s’écrase, on se laisse maltraiter, humilier, on renonce peu à peu à sa dignité ou bien on s’agace jusqu’à en devenir fou. Combat perdu d’avance.

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Intrigant et intemporel, le film d’Orson Welles est aussi passionnant qu’étouffant. Entre plans séquences et travellings de folie,  Le Procès dispose d’une mise en scène d’une fluidité impressionnante. On a l’impression d’être sur des rails, poussés vers un précipice apparaissant de plus en plus profond. Noyé dans la masse, dans des décors soit immenses ou confinés à l’extrême, l’homme n’est qu’un pion, une petite mouche que chacun peut chasser ou écraser à sa guise. Nous sommes là devant une œuvre à la fois politique et très abstraite, indéniablement philosophique aussi, propice à de multiples fantasmes et interprétations.

Simple procès ? Procès que l’on est tous un jour amené à se faire à soi-même ? Heure du jugement dernier ? A l’histoire de Josef K. se substitue l’histoire de nos vies, de nos mondes plus ou moins modernes, tandis qu’en arrière-plan se déploie une imagerie aussi fascinante qu’inquiétante. Au cœur de ce jeu pervers où l’adversaire est invisible et l’angoisse grandissante, Josef K. se laisse distraire par la compagnie de femmes aussi envoûtantes que potentiellement fatales, étranges reflets de ses désirs, pulsions enfouies.

Le génie Orson Welles nous invite à un voyage haletant et exigeant au cœur d’un univers mental, surréaliste et en même temps terriblement familier, tristement intemporel (les décennies passent, les mêmes problèmes de fond subsistent). Un labyrinthe obsédant dans lequel chacun est invité à se perdre sans modération.

Film sorti en 1962. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3