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LE SANG D’UN POÈTE de Jean Cocteau : de l’autre côté du miroir

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Expérience de cinéma, rêve éveillé ouvert aux interprétations les plus libres et les plus folles : Le sang d’un poète aurait dû être un dessin animé. Mais Jean Cocteau a préféré , pour des raisons de praticité, en faire plutôt un film. La meilleure chose à faire pour apprécier ce projet abstrait est de s’y plonger sans réserve, sans trop l’intellectualiser. En faire une expérience presque physique et se laisser porter par l’étrangeté des images.

Trois grandes parties balisent cette aventure-miroir. Le premier segment nous montre un poète-peintre dans son atelier, peignant un portrait. Il reçoit la visite de son double qui s’enfuit puis s’acharne sur sa toile, tentant d’effacer une bouche qui mystérieusement prend vie. En essayant de l’effacer avec sa main, il se retrouve avec la bouche sur cette dernière. Ce qui donne lieu à un passage assez amusant et à la portée érotique certaine : avec une bouche sur sa main, notre beau peintre s’offre un petit moment d’onanisme (la bouche sur la main parcourt ses lèvres, son torse…). A noter que l’artiste se balade torse-nu, de quoi donner une certaine touche sensuelle. Soudain, une statue prend vie et l’invite à plonger dans son miroir. Le poète se retrouve dans un autre monde, où ses peurs, fantasmes, rêveries, se matérialisent. Long couloir d’une sorte d’hôtel, par le trou de la serrure le beau brun peut regarder ce qui se passe dans chaque pièce. Un mexicain exécuté, une petite fille à qui l’on apprend à voler avec sévérité, le regard d’un homme chinois, un hermaphrodite… Il y a dans cette déambulation quelque chose de bizarre, d’excitant, de beau et de vénéneux. Ce que l’on voit, le miroir de nos rêves, de nous-mêmes, trouble et les images hypnotisent jusqu’à nous pousser à bout (guidé par les mots, le poète se retrouve prêt à se tirer une balle dans la tête). De retour de l’autre côté du miroir, dans le monde réel, l’artiste détruit la statue au risque d’en devenir une lui-même.

le sang d'un poète film
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Le deuxième passage nous montre une bataille de boules de neige entre enfants, qui prend une tournure plus violente que prévue. Un petit garçon se retrouve au sol, mort. L’insouciance se mêle au morbide. On retrouve le défunt enfant dans la troisième partie où, en public, le poète du début affronte lors d’une partie de cartes la statue qu’il était sensé avoir détruite et qui est désormais humaine, arborant les traits d’une sublime femme. La belle statue vivante le prévient : s’il n’a pas l’as de cœur, il sera perdu. Le poète vole alors le cœur du garçonnet mort afin de le matérialiser en as. Quelques minutes plus tard, il se tire une balle dans la tête alors que le public applaudit face à ce spectacle cruel.

De ce magnifique voyage plein d’allégories, on retient une atmosphère très singulière, autant touchée par la grâce que ravageuse. Le rêve côtoie le cauchemar, la curiosité se fait malsaine, les jeux y sont dangereux et le reflet du miroir, les images, peuvent s’avérer révélateurs et destructeurs. Jean Cocteau pendant moins d’une heure nous emmène très loin et nous perd dans un autre monde, un autre espace temps, donnant aux images une grande puissance, jouant du son, de la musique, pour brouiller les pistes, les repères. Déroutant et stimulant.

Film sorti en 1930 et visible gratuitement et légalement ici

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3