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LES BUMS DE LA PLAGE (BEACH RATS) d’Eliza Hittman : la brûlante implosion d’un jeune gay refoulé

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Et si le film le plus homoérotique de l’année était réalisé par une femme ? C’est la surprise de « Beach Rats », long-métrage signé Eliza Hittman qui nous propose de suivre le quotidien d’une bande de loubards à Coney Island. Au centre d’un groupe de mecs qui passent leur journée à glander au bord de la plage, chercher de l’argent pour se défoncer et draguer des filles, il y a Frankie (Harris Dickinson). Le garçon sort de l’adolescence et traverse un été difficile : il étouffe chez lui où son père atteint du cancer vit probablement ses derniers jours. A cette fêlure profonde se mêle l’implosion intérieure d’une homosexualité refoulée. Frankie est excité par les hommes plus âgés, qu’il allume dans la pénombre de sa chambre à travers un site de webcams. Un désir qu’il espère passager : il ne voudrait pas changer son quotidien ou être rejeté par ses seuls amis pour qui l’homosexualité n’est qu’une vaste blague.

Le thème des standards de la masculinité et par extension le poids d’une hyper masculinité dans certains milieux a le vent en poupe. « Beach Rats » prend le sujet à bras le corps. Désir totalement refoulé et masturbatoire dans un premier temps, puis des rencontres sauvages en mode cruising sans tendresse. Pour ne pas attirer les soupçons et se rassurer lui-même, le personnage principal entame une relation avec Simone (excellente et plantureuse Madeline Weinstein), une fille aguicheuse qui le colle un peu beaucoup. Mais la double vie qu’il commence à mener lui fait petit à petit perdre son sang froid et l’entraîne dans des situations aussi vertigineuses que périlleuses.

les bums de la plage

Ce que montre « Beach Rats », c’est la difficulté encore aujourd’hui de s’assumer dans une Amérique à plusieurs vitesses. Frankie pourrait très bien faire son coming out, on ne doute pas que sa mère le soutiendrait. Mais il n’a pas envie d’ébranler son monde, est obsédé par l’idée d’être « un mec un vrai », de faire le dur avec ses potes, se muscler encore et encore…Accroché à un certain stéréotype de l’hétérosexualité masculine américaine, il n’arrête pas de se pousser, se forcer, au risque de ne plus savoir au final qui il est.

Si le sujet n’est pas nouveau, son traitement est assez intime et intelligent pour nous embarquer. La réalisatrice pose un regard franc et tendre sur ses personnages et dépasse les caricatures qu’ils représentent. Le beau glandeur de plage est bien plus à vif et tourmenté qu’il n’en a l’air, se masturbe dans les toilettes pour avoir une érection avec sa copine en espérant pouvoir continuer à parader avec ses potes plus tard. La bimbo hot cache un coeur d’or prêt à se faire massacrer. Mais surtout « Beach Rats » est un très beau film de mise en scène.

 les bums de la plage les bums de la plage

Eliza Hittman filme de façon brûlante et très incarnée les passages intimes, délivre de somptueuses séquences nocturnes entre plage, feux d’artifices, fête foraine et recoins un peu flippants. Le motif du feu d’artifice revient d’ailleurs comme une petite obsession. Symbole d’une magie de pacotille, d’une beauté factice, d’un amour qui n’existe pas, d’une débauche explosive en contraste au personnage principal qui implose complètement. L’ensemble est magnétique, atmosphérique et hypnotique, porté par une bande-originale suave. Les ténèbres du refoulement n’ont jamais été aussi sexy.

Film présenté au Festival Chéries Chéris 2017 / Disponible en DVD aux éditions Optimale et sur Netflix

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3