CINEMA

LES CHAUSSONS ROUGES de Michael Powell & Emeric Pressburger : pour l’amour de l’art

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Victoria Page (Moira Shearer) rêve de rejoindre la troupe de ballet de Boris Lermontov (Anton Walbrook). Ce dernier n’est pas du genre à se laisser convaincre facilement. Mais voilà qu’une de ses danseuses vedettes, la belle et futile Irina (Ludmilla Tcherina), envisage de se marier. Lermontov, directeur sadique, ne supporte pas cet écart. Il a toujours cherché une danseuse qui ne vivrait que pour la danse et non pour l’amour. Irina renvoyée, il prend sous son aile la surmotivée Victoria et compte faire d’elle une danseuse légendaire.

Elle s’illustre et fait sensation dans le ballet « Les chaussons rouges », d’après l’œuvre de Hans Christian Andersen, dont les compositions sont signées par Julian Craster (Marius Goring), autre nouveau poulain de Lermontov. Alors que le succès est de mise, que Lermontov s’attache et commence même à idolâtrer Victoria, il découvre qu’elle vit un amour caché avec Julian le compositeur. Il la poussera alors à faire un choix : la danse ou l’amour…

les chaussons rouges film

Chef d’œuvre incontournable, Les chaussons rouges est avant tout l’histoire d’une passion. Le directeur de troupe Lermontov ne vit que pour la danse. C’est sa seule passion, qui génère chez lui une certaine obsession et qui le conduit à être impitoyable face à eux qui ne vivent, ne ressentent pas la danse avec la même intensité, le même engagement. La jeune et belle Victoria est une sorte d’apparition, une évidence. Elle aussi clame qu’elle ne vit que pour la danse, qu’elle est prête à y consacrer son existence entière. Mais tout cela est bien plus facile à dire qu’à faire. Jusqu’où peut-on aller pour sa passion ? Jusqu’à quel point peut-on laisser cette dernière dévorer tout le reste ? La réalité se mêle à la fiction : Victoria campe l’héroïne du ballet des Chaussons Rouges. Une héroïne qui ,dès qu’elle enfile ses chaussons, ne peut plus s’empêcher de danser. La danse continue alors que tout défile : l’amour, la vie…Ce personnage dansera jusqu’à l’épuisement total, finissant par mourir. Impliquée, Victoria ne se voit pourtant pas embrasser le même destin tragique.

Dans la peau du tyran Lermontov, Anton Walbrook livre une interprétation impressionnante. Personnage captivant, extrêmement charismatique, amusant mais aussi terrorisant. Emporté par sa passion, désireux de trouver une muse qui donnera sa vie à l’art, il témoigne souvent d’un égoïsme sans limite, perd le sens des réalités. Un véritable sadique, un peu fétichiste, qui refoule toute idée d’amour. L’amour lui apparaît presque comme une maladie car il éloigne de la danse, de l’engagement, de la rigueur que nécessite la démarche artistique. L’amour est à ses yeux une impardonnable infidélité à l’art.

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Le film suit le parcours des deux jeunes artistes Victoria (la danseuse) et Julian (le compositeur). On y découvre tous les obstacles, les paliers à franchir, les efforts à fournir pour tenter d’exercer son art, vivre de sa passion. On découvre aussi l’égoïsme, le repli sur soi qu’engendre la vie d’artiste. Si l’amour peut nourrir bien des œuvres, il semblerait que dans la réalité la cohabitation soit forcément difficile. On ne peut pas tout donner dans tous les domaines.

Si l’intrigue peut sembler un peu rabattue aujourd’hui, les dialogues et l’interprétation sans faille des interprètes garantissent un véritable spectacle et une émotion rare. Doté d’une bande-originale magnifique, porté par une mise en scène aussi fluide que flamboyante, Les chaussons rouges est un film qui nous donne bel et bien l’impression de nous envoler, d’entrer dans une danse étourdissante. C’est aussi l’occasion de constater à quel point la scène, la danse, peut captiver, fasciner sur grand écran. Une version accélérée du ballet Les chaussons rouges fait à un moment son apparition. Soit 17 minutes de danse, une orgie de couleurs (éblouissement Technicolor), témoignant d’une beauté à couper le souffle. Un ballet de cinéma où Victoria s’abandonne au point de s’y perdre. Moment hallucinant, une grande leçon de cinéma au cœur d’un film passionnant de bout en bout.

Film sorti en 1949 et disponible en VOD et DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3