CINEMA

LES COUSINS de Claude Chabrol : l’injustice des sensibles

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Charles (Gérard Blain) quitte pour quelques temps sa Province pour venir étudier son Droit près de la capitale, à Neuilly. Il emménage chez son charismatique et extravagant cousin, Paul (Jean-Claude Brialy). Toujours très studieux, donnant très régulièrement via des lettres des nouvelles à sa maman qu’il adore et qui l’a « couvé », le jeune homme s’amuse en étant le spectateur de la vie dissolue de Paul. Ce dernier, oisif à souhait, passe en effet tout son temps à courir les bars, jouer, draguer ou organiser des soirées où l’on boit jusqu’à l’excès, au coeur desquelles il s’amuse de la déchéance des uns ou passe de façon intrusive de la musique classique en déclamant des textes nazis ! Plongé plus ou moins malgré lui dans cet univers superficiel, Charles garde les pieds sur terre.

Mais les choses se compliquent quand il tombe amoureux d’une connaissance de Paul, Florence (Juliette Mayniel). Ils commencent à se voir, Charles est instantanément sous le charme, obsédé par elle, mais il redoute de l’ennuyer. Un après-midi, alors que sur un malentendu elle se retrouve à l’attendre dans l’appartement de Paul, ce dernier, accompagné de son inquiétant comparse Clovis (Claude Cerval), est décidé à lui mettre en tête que leur relation est vouée à l’échec. Fragile et influençable, Florence se laisse persuader et lui tombe dans les bras. Apprenant brutalement que son cousin lui a piqué sa copine et qu’en plus elle va vivre chez eux « pour quelques temps », Charles cache sa profonde tristesse et décide de se noyer dans ses révisions. Ce qui l’amusait hier va progressivement l’étouffer… 

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Deuxième long-métrage de Claude Chabrol, Les cousins fait partie de ses plus beaux films avec une mise en scène suscitant le malaise, des personnages denses, une cruauté pernicieuse. Comme Charles, on pénètre dans un premier temps de façon amusée dans le quotidien de l’excentrique Paul, coureur de jupons, roi des blagues de mauvais goût, au tempérament très fort. A ses côtés tout semble possible. Des indices viennent toutefois pointer son manque total d’élégance et de sensibilité : quand un ami déprime à cause d’une peine de coeur, il lui propose de rencontrer une fille pour mieux lui la piquer avant de le traiter avec mépris / quand l’une de ses « poules » vient l’informer qu’elle est possiblement enceinte, il lui donne froidement de l’argent pour qu’elle se fasse avorter… Misogyne ? Extrémiste ? On refuse de lui prêter ces traits, il est tellement sympathique !

En opposition à ce dandy aussi charmeur que toxique dont la perversité n’a de cesse de se déployer, il y a donc Charles. Un provincial méritant qui n’a pas beaucoup d’expérience dans la vie, qui veut réussir son droit pour faire la fierté de sa maman, qui lit Balzac quand ses camarades se goinfrent de pornos ou de policiers. Très sage, trop sage peut-être, il observe ce qui se passe autour de lui et commence à avoir, lui aussi, envie de profiter de la vie. Son regard se pose sur Florence, c’est le coup de foudre mais il ne sait pas vraiment comment faire. Il est gentil, doux, vulnérable, n’hésite pas à lui montrer qu’il est à fleur de peau. Elle a envie de tomber amoureuse de lui mais elle traine un passé de fille légère que Paul a vite fait de lui rappeler dans une scène absolument atroce. C’est par Florence que le film bascule vraiment dans une sorte de cauchemar éveillé qui ne dit pas son nom. Elle va révéler malgré elle ce qu’il y a de pire chez Charles et Paul.

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Comme on peut le deviner, Paul, bien qu’ayant de la tendresse pour son cousin, le jalouse quand il le voit tomber amoureux. Sa droiture, sa pureté, ses illusions, Paul les a perdu depuis longtemps. A peine âgé d’une vingtaine d’années, il est froid, blasé, ne parvient à ressentir des choses qu’en étant dans l’excès, l’ivresse, la méchanceté. Malin comme le diable, il parvient à persuader Florence qu’elle ne peut être avec Charles et avec l’aide de Clovis la prend « sous son aile », faisant d’elle une de ses énièmes conquêtes dont il se lassera vite après avoir profité d’elle (alors qu’elle partira, comprenant qu’elle ne peut rien attendre de lui, il dira regretter d’elle avant tout ses tomates provençales !). Connaissant sa première peine de coeur, se laissant piétiner par son cousin sans broncher, Charles fait bonne figure, ne montre pas sa détresse, intériorise, se renferme sur lui-même, dans sa chambre à étudier.

Si Les cousins laisse une empreinte si forte, c’est autant de par sa mise en scène limpide, ample, nous faisant partager l’étourdissement, la décadence et le nihilisme du quotidien de Paul et de ses soirées endiablées que de par son écriture, magnifique, donnant à chaque personnage une profondeur, une forme de désespoir, de résignation bouleversante. De nombreux gros plans, troublants, monstrueux, hantent pour longtemps, le malaise est palpable partout.

Dans le monde glacial et débridé de Paul, il est bien le seul à ne pas composer avec la culpabilité, à toujours retomber sur ses pieds (peu importe les mauvais coups et tricheries qu’il commet avec la complicité de son douteux ami Clovis). Les autres finissent par céder à leurs faiblesses, se laissent convaincre qu’ils ne valent pas mieux que ce que l’on peut parfois attendre d’eux. Découvrant que la sincérité et le mérite ne paient pas, Charles se laisse à son tour submerger par la tristesse, le mal de vivre. Plus le film avance, sans aucun temps mort, plus il est déchirant. Quand le rêve doré se mue en un cauchemar pathétique et tétanisant. Un grand film.

Film sorti en 1959 et disponible en DVD

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3