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LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT de Rainer Werner Fassbinder : le film ultime sur la rupture

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Petra Von Kant (Margit Carstensen) est une couturière qui commence vraiment à connaître la célébrité et la reconnaissance. Dans son grand appartement, qui lui sert aussi d’atelier, elle savoure sa gloire naissante en compagnie de sa très soumise domestique et assistante, Marlene (Irm Hermann). Alors qu’elle s’apprête à créer une collection pour une marque importante, Petra reçoit la visite de son amie la plus proche, Sidonie. C’est l’occasion pour elle de se confier, non sans amertume, sur son mariage loupé qui l’a plus ou moins conduite à une haine définitive envers les hommes. Sidonie l’écoute, la plaint, la soutient…tandis qu’en arrière plan Marlene est là à fignoler les croquis de sa « maitresse » dans le plus grand des silences. Malgré son cœur brisé, Petra Von Kant semble avoir gardé sa dignité. Elle se croit d’ailleurs plus forte et multiplie les théories sur l’amour. Des théories qui vont rapidement s’avérer vaines lorsque par hasard Sidonie va lui présenter la jeune et sexy Karin (Hanna Schygulla). Une « fille du peuple » aux dents longues qui se verrait bien entamer une carrière de mannequin. Immédiatement charmée par la candeur apparente de la demoiselle, Petra l’invite à passer une soirée en sa compagnie. Lors de ce rendez-vous, elle va lui proposer son aide, sa protection, pour percer dans le milieu …et aussi de devenir son amoureuse. Hier si forte, Petra va peu à peu s’abandonner et se perdre face à l’insolente beauté de sa nouvelle compagne. Amour et rapports de force font souvent des étincelles, Petra va à nouveau être amenée à en faire la douloureuse expérience…

Petra Von Kant est parfois une garce. Elle maltraite complètement sa servante Marlene. Cette dernière fait en effet tout dans la maison : tâches ménagères, couture et tout ce que sa patronne exige d’elle. Pourquoi tant de servitude ? Petra l’explique, blasée, par le fait que Marlene l’aime…Il y a surement de ça mais en tout cas Marlene prend bien soin de se protéger. Elle reste un maximum en dehors de « l’arène », celle où Petra aime et se déchire le cœur. Effacée mais omniprésente, ce personnage  est central dans l’intrigue. Marlene est le témoin de Petra, celle qui entend et voit tout, celle qui est toujours là. Alors que Petra converse, on la voit toujours au loin ou bien nous l’entendons lorsqu’elle tape sur sa machine à écrire. Marlene est peut-être le personnage le plus soumis mais c’est assurément celui qui s’en sortira le mieux car elle n’attend strictement rien de l’amour. C’est comme si elle y avait renoncé. Et d’ailleurs, quand viendra sa chance d’être plus pour Petra qu’une domestique, elle préfèrera partir. Car elle sait bien qu’avec sa mondaine de couturière, les histoires d’amour finissent toujours (très) mal.

Petra Von Kant est égoïste. Une femme qui pense toujours à elle, à son image, à ses émotions. Une sorte de monstre égocentrique. Lors de ses confidences à Sidonie, on remarque bien sa faculté à se rendre intéressante et à décrédibiliser, dénigrer, l’existence des autres. Blessée, meurtrie, Petra se rassure elle-même en développant ses points de vue sur l’amour et en se perdant entre fantasmes et réalité. Tout cela en prenant bien soin de lancer des pics à son amie pour lui faire comprendre que son existence n’a rien de fantastique par rapport à la sienne, plus riche et expérimentée. Mais si Petra peut être une vraie peste, c’est avant tout une femme incroyablement sensible qui , quand elle aime, s’abandonne totalement. Preuve en sera sa liaison furtive avec Karin qui ,ô surprise, va la placer dans une position de « dominée ». Impuissante face à la jeunesse et la beauté de cette femme bien plus retorse qu’elle, Petra va encore avoir le cœur brisé. Car on comprend que Karin se sert complètement d’elle et ne ressent pas grand-chose à son égard. Au mieux une tendre affection. La tendresse et le sexe sont ainsi très limités dans leur quotidien et rapidement Karin avoue (non sans provocation) coucher avec des hommes, « à côté ». Lorsque viendra la rupture, Petra sera totalement anéantie.

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Si Les larmes amères de Petra Von Kant est un film culte et est souvent considéré comme l’un des meilleurs de Fassbinder, c’est sans doute pour sa faculté à retranscrire avec une justesse inouïe les sentiments ressentis après une rupture douloureuse. Quelque chose de très fort entre l’amour et la haine. Les adieux de Petra et Karen sont ainsi un véritable festival d’émotions. Entre désir de serrer l’autre dans ses bras ou de lui cracher à la gueule en l’incendiant. La scène du téléphone restera à jamais mythique. Larguée par la femme qu’elle aimait, Petra se retrouve seule sur sa moquette, à genoux à côté du téléphone, attendant désespérément un appel. Mais bien sûr le téléphone sonne et ce n’est jamais Karin. Alors Petra hurle, se morfond, picole. Passe  de « Tu me manques tant ma chérie » à des « Tu n’es qu’une misérable petite putain ». La performance de Margit Carstensen est phénoménale. Et nous ne sommes pas au bout des réjouissances puisque le jour où se déroule la scène n’est autre que celui de l’anniversaire de Petra. Elle recevra ainsi la visite de sa fille crédule (qu’elle a placé en internat) et de sa mère (toujours là pour lui soutirer de l’argent). Tout le monde va en prendre pour son grade…

Les larmes amères de Petra Von Kant est un fabuleux portrait de femmes, de deux femmes que tout oppose : Petra et Marlene. A l’origine pièce de théâtre, le film est plus ou moins articulé comme tel avec cinq actes bien distincts. Un lieu unique pour mieux nous plonger dans l’intimité du personnage et instaurer un huis clos destructeur. Et une réalisation qui joue avec virtuosité sur l’espace et le temps. Avec très peu de moyens, d’éléments, Fassbinder nous livre des plans sensationnels (on pense notamment à celui où Petra raconte l’échec de son mariage avec un gros plan progressif sur Marlene qui deviendra ensuite floue ou à celui du téléphone où tous les personnages sont convoqués dans le champ). Ajoutez à cela une écriture sublime et un casting fabuleux et vous obtiendrez ni plus ni moins un des plus grands films sur la désillusion amoureuse. Plein de nuances, à vif, élégant et déchirant, raffiné et pathétique. Petra Von Kant est une diva, une vipère même parfois mais comme on la comprend et comme on s’identifie à ce qu’elle traverse…

Film sorti en 1971. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3