FICTIONS LGBT

LES LOIS DE L’ATTRACTION de Roger Avary : jeunesse éclatée

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Au Camden College, les étudiants ne sont pas du genre studieux. Pour la majorité gosses de riches, les membres de cette université passent leur temps à participer à des soirées hautement alcoolisées et autres orgies. Sexe et drogue rythment leur quotidien mais quand l’amour s’en mêle, forcément les choses dérapent. C’est l’histoire de trois personnages en particulier. Sean Bateman (James Van Der Beek), blond séducteur et dealer, qui a quelques problèmes pour régler ses dettes à son fournisseur, qui reçoit des lettres d’amour anonymes dans son casier et se persuade que Lauren Hynde (Shannyn Sossamon), la fille qui le fait craquer, en est l’expéditrice. Il est vrai que Lauren en pince pour lui. Mais la jeune femme est vierge et ne sait pas trop comment s’y prendre. La concurrence est rude, à commencer par sa colocataire écervelée Lara (Jessica Biel). Il n’y a encore pas si longtemps de cela, Lauren sortait avec Paul Denton (Ian Somerhalder). Depuis, le beau brun est devenu un gay totalement assumé mais composant avec un problème de taille : il a le chic pour craquer sur des hétéros ou homos honteux. Et le voilà qui jette son dévolu sur le nonchalant Sean. Trois jeunes, trois cœurs et trois solitudes, avançant dans le néant d’un monde d’oisiveté, de fête et de gueule de bois permanentes…

les lois de l'attraction

Film culte du début des années 2000, unique adaptation parfaitement réussie sur grand écran d’un livre de Bret Easton Ellis, Les lois de l’attraction avait lors de sa sortie réalisé mon rêve le plus fou. Fan de la série Dawson et lecteur d’Ellis, je voyais James Van Der Beek propulsé dans un univers décadent et à priori si loin de lui. Jubilatoire. C’est la première bonne idée de Roger Avary : réunir un casting d’icônes adolescentes pour mieux briser l’image d’une jeunesse lisse, aseptisée. L’interprète de Dawson devient un dealer complètement paumé, celle de 7 à la maison se mue en nympho cocaïnée… Si l’adaptation du roman éponyme est plutôt libre (elle coupe notamment bien avant la fin du bouquin), elle traduit parfaitement la fureur et la confusion ressenties lors de la lecture. On déambule ainsi dans un univers unique, à la fois 80’s et intemporel, où la jeunesse s’éclate et éclate.

Pop en diable, pleine d’idées, la réalisation est un régal de chaque instant. Tout d’abord un pré-générique dément qui entre rembobinage élégant, ironie, humour terriblement noir et amertume, présente chacun des trois protagonistes principaux. On connaît déjà la fin (ou presque) avant que cela commence. Et ça va mal finir. Lauren, qui avait idéalisé son premier rapport sexuel, se fait dépuceler, totalement bourrée, par « un type de la ville », tandis qu’un autre filme. Aucun plaisir, aucune attention : son partenaire la bourrine maladroitement avant de lui vomir dessus. Paul invite un garçon qui lui plait dans sa chambre pour se défoncer. Le mec semble l’allumer mais finit par lui casser la figure quand il l’embrasse. Homo refoulé, il l’humilie  avant de devenir des mois plus tard la folle du campus, le taxant d’impuissant. Enfin, Sean ramène dans sa tanière une blonde « avec une bouche à pipe », mais peine à rester dur quand il constate qu’elle ne mouille pas. La fille l’appelle Peter, il ne sait plus quand il a baisé la dernière fois sans être bourré. Le ton est donné. Suit le générique et ses va-et-viens hypnotisants de beauté et de cool.

les lois de l'attraction

C’est un film comme une danse, une ronde. Tout est parfaitement rythmé, les personnages et les émotions se croisent, s’entrechoquent. Il y a comme quelque chose de mécanique, d’inéluctable dans l’avancée des protagonistes. Tout le monde va droit dans le mur, fait ce qu’il ne faut pas faire, se laisse tromper par ses pulsions. Et la morale de l’histoire : « Personne ne connaît personne, jamais ». Triste constat, balancé avec détachement. Le détachement de ces gens, blasés avant l’heure, qui souffrent sans pouvoir vraiment extérioriser, sans pouvoir se dire surpris de l’horrible cours des choses.

Si Roger Avary dresse ici le portrait très noir d’une jeunesse dorée et larguée, l’ensemble est intense sans jamais être plombant. Au contraire, on rit beaucoup (jaune). Le malheureux Paul qui ne réalise pas que Sean n’en a strictement rien à faire de lui, le même Paul obligé de porter secours à un ami gay ayant loupé sa tentative de suicide ou passant un dîner agité avec son ami « Dick » et leurs mères respectives ; une autre tentative de suicide ratée et tordante, de Sean cette fois ; le fantasme romantique pathétique de Lauren pour un Victor qu’elle connaît à peine (formidable passage de la virée européenne déglinguée avec Kip Bardue, qui fait l’effet d’un shoot) : chaque scène se révèle jouissive, mordante, réjouissante.

les lois de l'attraction

La grande réussite du projet est de tenir aussi bien le côté teen movie barré que le côté dramatique. Ce dernier s’articule autour d’une spirale sentimentale vicieuse et par définition sans issue. Paul aime Sean qui aime les filles. Sean aime Lauren mais couche avec sa roommate Lara. Lauren se voit constamment confrontée à une réalité très en-dessous de ses fantasmes…Pendant que les corps s’emboitent, que les narines trop poudrées saignent, la mort rode. Si certains loupent leur tentative de suicide, d’autres y arrivent (comme la malheureuse jeune fille amoureuse de Sean ,et réelle auteur des lettres d’amour, qui se donne la mort lors d’une scène vertigineuse). Le grand trou noir : seule issue pour ceux qui n’arrivent pas à passer du split-screen au plan rapproché ?

Une réalisation comme la jeunesse, en constante évolution, pleine d’énergie, des acteurs qui excellent dans le contre-emploi, une bande-originale somptueuse (The Cure, Erasure, Blondie, The Rapture…) et des émotions fortes : Tout est là. Un film à voir et revoir (ne serait-ce que pour le beau bisou gay entre James Van Der Beek et Ian Somerhalder).

Film sorti en 2003 et disponible en DVD

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3