CINEMA

LES PARAPLUIES DE CHERBOURG de Jacques Demy : trajectoires de l’amour

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Geneviève (Catherine Deneuve) a 16 ans et travaille avec sa mère (Anne Vernon) dans son magasin de parapluies. Depuis quelques temps, Geneviève n’est plus vraiment la même : elle est amoureuse. Elle voit en cachette un mécanicien, le tendre Guy (Nino Castelnuovo). Emportés par leurs sentiments, ils multiplient les promesses et projets d’avenir. C’est sûr : ils se marieront et auront une fille, il y a toujours eu des filles dans la famille de Geneviève, et elle s’appellera Françoise.

Quand la belle blonde annonce à sa mère qu’elle souhaite se marier, cette dernière lui rappelle qu’elle est encore trop jeune et qu’elle ne sait même pas ce qu’est l’amour. Et puis ce n’est pas le moment de penser à ça : la boutique de parapluies ne marche pas très bien et les dettes s’accumulent. Au bord du désespoir, la mère de Geneviève reçoit de l’aide de la part d’un jeune inconnu séduisant. Il s’appelle Roland Cassard (Marc Michel), il est diamantaire, et il se prend directement d’affection pour la mère et surtout la fille. Cette dernière n’en a que faire et s’apprête à se marier en secret avec Guy…Mais voilà que le bel amoureux doit partir faire son service militaire. On va l’envoyer en Algérie.

Nous sommes en 1957 et la guerre bat son plein. Peut-être ne reviendra-t-il pas. Lui et Geneviève passent une première et dernière nuit charnelle avant son départ. Elle promet de l’attendre. Mais alors que les mois passent, les choses se compliquent. Geneviève tombe enceinte et a du mal à composer avec l’absence de son cher et tendre. Sa mère tente de la pousser dans les bras de l’insistant Roland Cassard qui lui promet une vie digne de ce nom…

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Sorti en 1964, Les Parapluies de Cherbourg est l’œuvre la plus populaire de Jacques Demy et un chef d’œuvre absolu du cinéma. C’est une petite révolution qui se joue à l’écran : nous découvrons un nouveau cinéma, extrêmement coloré mais surtout « en chanté ». Jacques Demy s’est associé au compositeur Michel Legrand pour mettre en musique tous les dialogues de son film. Bienvenue dans un nouveau genre où tout le monde s’exprime en chantant dans un univers aseptisé mais qui révèle peu à peu sa noirceur tragique. Dès les premières secondes, on est emportés. Panoramiques, travelings, utilisation ingénieuse du zoom : on a l’impression de s’envoler avec Geneviève et Guy, jeunes gens découvrant la passion de l’amour. Tout est beau, léger. Les plans sont plus sublimes les uns que les autres, les rues sont redécorées, les intérieurs tapissés de façon à aller à merveille avec les costumes des personnages. C’est un travail de titan qui s’expose en toute simplicité, une précision folle à tous les niveaux.

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Découpé en trois parties (Le départ, l’absence et le retour), le film nous emmène dans un univers qui ne ressemble à aucun autre, où les sentiments les plus forts et inavouables jaillissent grâce au lyrisme des chansons. Tout est d’ailleurs lyrique ici, la magie du cinéma éclatant dans pratiquement chaque scène. Au départ, on a la sensation d’être dans un rêve. Et puis la réalité du monde rattrape les protagonistes et le spectateur par la même occasion. Loin des quais où les amoureux se font des promesses éternelles se déroule la sinistre guerre d’Algérie. Geneviève et Guy doivent se quitter. Scène d’au revoir (et peut-être d’adieu) dans un café, un énorme moment de cinéma, le genre de scène inoubliable qui atteint une gravité, une intensité folle. Et si le film ne cessera pas d’émerveiller par ses qualités, l’histoire de ce jeune couple semble alors vouée à la destruction. Le train s’éloigne, Geneviève reste sur le quai, celui de la gare cette fois, seule. C’est l’heure du désenchantement.

Elle aurait pu mourir de cette séparation, elle voudrait en mourir. Mais non, comme sa mère le lui rappelle « On ne meurt d’amour qu’au cinéma ». Dans la vie réelle, il faut composer avec le temps. Ce temps qui change tout, qui déforme les choses et les gens. Geneviève découvre qu’elle est enceinte, attend désespérément les rares lettres du père de son enfant qui ne sera probablement pas là pour son accouchement. L’absence de son amour est de plus en plus longue, de plus en plus dure. Cela ne fait que quelques mois mais elle a l’impression que cela fait des années. Elle en souffre mais elle attend. Pendant ce temps, sa mère lui met la pression, la pousse à s’interroger sur son avenir. A quoi se destine-t-elle ? Est-ce bien sage d’attendre Guy ? A-t-elle mérité ces jours de misère ? Toujours dans les parages, Roland Cassard est prêt à l’accepter telle qu’elle est, à élever avec elle son enfant.

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Ce Roland Cassard apparaît comme le gendre idéal. Il séduit la mère pour mieux avoir la fille. Un Roland Cassard qui ne nous est pas étranger : c’est le même Roland que celui de Lola de Jacques Demy. Le cinéaste crée alors une réjouissante correspondance entre les deux films. Après sa terrible déception amoureuse, Roland a voulu oublier Lola. Il a voyagé, on devine qu’il est devenu un escroc, lui qui était prêt à plonger dans le trafic de diamants dans le premier film et que l’on retrouve ici comme diamantaire. Roland Cassard est un homme malheureux en amour. Il ne s’éprend que de celles qui ne l’aiment pas. Après Lola, c’est au tour de Geneviève de l’obséder. La jeune fille est ailleurs, elle en aime un autre. « Vouloir le bonheur c’est déjà un peu le bonheur » entendait-on dans Lola. C’est un peu la même rengaine que Cassard déballe à Geneviève au bord des quais. Cette fois la fille ne sourit plus, Roland n’est pas Guy, elle marche d’un pas lent. Il faut penser à son avenir. Construire. Le temps de la passion est révolu, Geneviève opte pour la sécurité avec un homme qui l’aime sans conditions. Leur mariage ressemble à un enterrement, ils partent dans une voiture noire. Déménagement. Adieu Cherbourg.

Le mariage accompli, on enchaine de suite avec la troisième partie du film : le retour. Guy revient à Cherbourg. Les amoureux se sont loupés. Plus rien n’est pareil : Geneviève vit, dit-on, à Paris. Sa mère a déménagé elle aussi. Le magasin de parapluies a été vendu et est désormais une laverie. Guy retrouve avec émotion sa tante Elise qui l’a élevé et qui est malade. Mais le retour à la vie après la guerre est douloureux. Pas facile de se réinsérer dans la société, surtout quand en plus des fantômes de la guerre, on traine un énorme chagrin d’amour. Guy erre dans les lieux où il passait du temps avec Geneviève, rencontre une prostituée qui a le même nom qu’elle. Tout le ramène à elle. Il se laisse aller, quitte son travail, se saoule dans les cafés. Sa vie est comme foutue. Et puis la tante meurt. La jeune infirmière qui s’occupait d’elle et qui est une amie de la famille, la sage et dévouée Madeleine (Ellen Farner), est alors la seule personne proche qu’il reste à Guy. On a bien compris qu’elle en pinçait en silence pour lui. Ils finiront par se mettre ensemble. Guy renonce à Geneviève, il décide de reprendre sa vie en main, de construire.

Le film s’achève avec le hasard des retrouvailles entre Geneviève et Guy. Elle a eu une petite fille qu’elle a appelée Françoise. Son enfant à lui s’appelle François. Ils n’ont pas grand-chose à se dire, dehors il neige, il fait froid. La petite Françoise attend dans la voiture alors que sa mère rentre dans la station service qu’a bâti Guy. C’était son projet de vie pour eux deux, elle découvre ce à côté de quoi elle est passée. Que fait-elle à Cherbourg ? Elle a fait un détour après être passée chercher sa fille chez sa belle-mère. Sa mère à elle est morte. On devine, on sent que Geneviève regrette. Elle demande à Guy s’il veut voir sa fille. Il refuse. Ils se séparent à jamais. C’est horrible, tragique, bouleversant. Ce magnifique film qui commençait en nous élevant vers la beauté de l’amour s’achève avec une séparation définitive, terrible. Guy retrouve sa femme, il a l’air heureux. Peut-être l’est-il vraiment, il a tout fait pour s’en persuader en tout cas.

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Les parapluies de Cherbourg, titre donné au film mais aussi à la boutique de la mère de Geneviève. Des parapluies qui protègent de la vie, qui nous empêchent de nous mouiller. Mais à force de trop vouloir éviter la pluie, Geneviève et Guy sont passés à côté de l’amour de leur vie. Que dire face à une histoire d’amour aussi belle et vibrante, face à un univers si fort et singulier ? Tout dans ce film relève du génie. Un monument, universel et intemporel qui marquera à vie tous les romantiques. C’est bien simple, à chaque fois que je le regarde, j’ai envie de pleurer. Les parapluies de Cherbourg c’est comme l’amour : il faut le voir, connaître ça, au moins une fois dans sa vie.

Film sorti en 1964 et disponible en DVD

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3