FICTIONS LGBT
L’HOMME QUE J’AIME de Stéphane Giusti : amour à retardement
Années 1990. Martin (Marcial Di Fonzo Bo) est un homme fantasque et plein de vie qui n’est pas du genre à mâcher ses mots, à garder pour lui ses émotions. Alors quand il croise à la nouvelle piscine où il vient de commencer à travailler Lucas, un maitre nageur, il ne peut pas s’empêcher de le mitrailler de questions. Ayant eu le coup de foudre pour son collègue, Martin tient à savoir si ce dernier est gay, s’il a une chance avec lui. Il découvre vite que Lucas est en couple et en ménage avec Lise (Mathilde Seigner). Mais cela ne l’empêche pas de continuer à le draguer avec insistance, pensant (sans doute à raison) qu’il pourrait le faire flancher. Visiblement irrité, déconcerté, voire agacé par le rentre-dedans de son nouveau camarade, Lucas est sous le choc quand il apprend par son père médecin que Martin est atteint du Sida. Il reste à cet homme si vif peu de jours devant lui. Plein de compassion (et de sentiments refoulés), Lucas décide de l’épauler, accepte de dormir avec lui, puis finit par quitter Lise pour partager avec son camarade ses derniers instants. L’amitié ambiguë finit par laisser place à une histoire d’amour aussi pure que potentiellement destructrice, le temps étant compté…
L’Homme que j’aime, à l’instar de Juste une question d’amour, fait partie de ces téléfilms devenus cultes auprès de la communauté gay pour avoir traité avec finesse et sensibilité de l’homosexualité alors que le cinéma se faisait un peu trop avare sur la question. Stéphane Giusti nous rappelle, si besoin était, qu’il y a de véritables téléfilms « de cinéma ». Acteurs excellents, réalisation entre sobriété et délicate fantaisie, dialogues amusants et puissants : L’Homme que j’aime est une belle réussite qui fait le bonheur des spectateurs depuis déjà plus de 20 ans.
La clé de la réussite ? Déjà, un duo irrésistible. Martin est extraverti, un peu chien fou, plein de fantaisie, poussé par le désir de survivre. Réalisant que les hôpitaux ne pourront pas l’aider, il décide de vivre ce qu’il lui reste à vivre au grand jour et tient à garder sa joie, sa gaieté. Lucas est introverti, ne se tient jamais droit, parle peu, n’exprime pas ses sentiments, sauf par pulsions. Opposés, ces deux-là ne pouvaient que s’aimer…Alors que la mort rode, le réalisateur nous offre une émouvante love story, étonnamment lumineuse, rafraîchissante. En témoigne un final tout sauf facile, anti tire-larmes au possible alors qu’il y avait de quoi faire pleurer dans les chaumières. Cette volonté de ne pas tomber dans les clichés, de ne pas choisir des chemins balisés, se retrouve partout. Rien n’est tout blanc ou tout noir. Les personnages secondaires en sont la preuve : Mathilde Seigner en toute ambiguïté montre les différents états par lesquels peut passer une femme que son compagnon délaisse pour un homme.
L’autre grand sujet du film, c’est bien entendu l’épreuve du sida. Comme Martin l’explique, son carnet d’adresses est devenu un recueil nécrologique. Quand le Sida a fait son apparition, les morts se sont succédées, très peu de solutions étaient proposées, l’Etat ou les hôpitaux n’ont pas assuré. On a baladé, délaissé les patients, on les a laissés dans le flou. Émergence d’Act Up, révolte…Si le cinéaste tient à évoquer cette terrible période, il ne fait pas que du militantisme, montre ce qu’il y a à montrer, nous laisse réfléchir. Et malgré la terreur, une situation impitoyable, le personnage de Martin continue de n’en faire qu’à sa tête, d’avancer tant qu’il le peut encore.
C’est un film émouvant, plein de drôlerie, de douce folie, assez unique en son genre (on pourra se permettre un rapprochement avec le cinéma de Ducastel et Martineau). Le récit d’un amour beau et léger envers et contre tout.
Film produit en 1997