FICTIONS LGBT
LIKE CATTLE TOWARDS GLOW de Dennis Cooper et Zac Farley : garçons chaos
Un garçon se prostitue en faisant le mort pour un jeune client traumatisé par la disparition récente d’un ami. Un performer se met à nu jusqu’à l’absurde et la déraison, rejouant un abus devant un public stoïque. En attendant un train, un jeune homme sous acide vit une parenthèse sexuelle avec un garçon dépressif persuadé de mourir dans très peu de temps. Deux marginaux coupés du monde et se prenant pour des loups garous sont troublés par une proie qui les excite. Une fille épie les mouvements d’un beau mec à l’aide d’un drone et de caméras de surveillance. Avec Like Cattle Towards Glow, le duo formé par l’écrivain Dennis Cooper et le vidéaste Zac Farley nous plonge au coeur de 5 histoires qui ont pour thématiques communes la solitude, la dépression et la sexualité. L’ensemble se savoure comme un étrange recueil de nouvelles, avec des univers différents mais une détresse et un nihilisme permanent.
Dans sa façon de filmer la dépression en en faisant quelque chose d’absurde voire de drôle, le projet peut faire penser à Ken Park de Larry Clark. Pas de doute, ce premier long-métrage est clivant : soit on se laisse emporter par ce qui constitue une vraie proposition de cinéma assez éclatante, soit on s’irrite, se ferme et on a la nausée face à un film qui peut facilement passer pour un cliché hipster qui se regarde souvent le nombril. La « coolitude » de Like cattle towards glow est sans doute sa pire ennemie mais il serait dommage de le condamner trop vite. Dès les premières minutes, les cinéastes témoignent d’une foi totale en la fiction, jouant à merveille des non-dits, du malaise, faisant s’entrechoquer des émotions contradictoires, mêlant l’érotisme au morbide.
A la lisière de l’expérimental, volontiers surréaliste, onirique même s’il déploie une ribambelle de portraits désespérés, le film ne fait pas de concessions, a un vrai parti pris, un je m’enfoutisme qui fait plaisir à voir. La mise en scène est sublime, le travail sur le son est remarquable. Avec une économie de mots les scènes qui défilent n’en finissent plus de troubler, de toucher de façon abstraite des points sensibles. Jouant parfois de la lenteur, s’amusant à choquer et provoquer, s’autorisant quelques passages de sexe explicite, l’oeuvre nous entraîne définitivement ailleurs, réussit l’exploit de former un tout définitivement déstabilisant, avec des parties distinctes aux univers forts et marqués sans jamais fragiliser la cohérence de l’ensemble.
Dennis Cooper et Zac Farley filment l’angoisse et la solitude de jeunes garçons aussi désirables que paumés, évoluant au coeur du chaos. Chacun a, dans sa malchance, la chance de trouver un complice, un compagnon de jeu. L’autre, et par extension la sexualité, représente selon les personnages un réconfort inattendu, un alter ego, un confident… La jouissance et la fraternité comme armes contre le néant.
On a envie de conseiller ce film déroutant, risqué, qui ne cherche jamais à se faire aimer et qui pourtant peut toucher très fort. Détail qui ne gâche rien : la réalisatrice Emilie Jouvet fait partie de l’équipe technique et cela a été produit entre autres par Jürgen Brüning (producteur de nombreux films de Bruce LaBruce) et Christophe Honoré.
Film produit en 2015 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen