FICTIONS LGBT
LITTLE GAY BOY d’Antony Hickling : chemin de croix
Une prostituée, Maria (Amanda Dawson), seule et un rien déprimée, voit un jour un ange lui annoncer qu’elle va avoir un bébé. Mais ce cadeau du ciel est empoisonné : l’enfant, JC (Gaëtan Vettier), connaîtra une vie de souffrance et d’humiliations avant de mourir du Sida. Après cette annonciation, nous découvrons le quotidien asphyxiant de JC alors qu’il est devenu un beau jeune homme, attirant les convoitises. Il se jette dans les bras de partenaires le mettant à mal, se plonge plus ou moins volontairement, mais avec une excitation que son air innocent peine à dissimuler, dans des situations dégradantes. Ou comment se laisser souiller pour exorciser ses démons. Le grand démon de cette histoire pourrait être son père (réel ou fantasmé), homme absent et incestueux, qu’il finit par retrouver des années plus tard (à moins qu’il ne s’agisse d’un songe, d’un au-delà). Ces retrouvailles, entre plaisir interdit, émotion et manipulation offriront peut-être à JC la chance de reprendre les choses en main, après une existence en forme de spirale infernale…
Après L’Annonciation (or the conception of a little gay boy) et Little Gay Boy Christ is Dead, Antony Hickling clôture son triptyque de courts-métrages avec Holy Thursday (The last supper) et rassemble le tout dans un long-métrage sobrement intitulé Little Gay Boy, a Triptych (reprenant les initiales LGBT). Les trois chapitres fonctionnent très bien séparément, générant à chaque vision une drôle de fascination pour des images provoquant des réactions physiques ou ouvrant la voie à de multiples interprétations (les influences du réalisateur sont nombreuses – religieuses, cinématographiques, picturales). Leur regroupement au sein d’une œuvre unique permet toutefois de mieux apprivoiser le personnage principal, JC, qui oscille entre réalité glauque, fantasmes dévorants, rêveries et autres cauchemars. En singeant les textes sacrés pour parler de l’homosexualité, Antony Hickling n’a pas froid aux yeux. Dès le premier chapitre, L’annonciation, il prend ses distances avec un cinéma d’auteur très codé, pour ne pas dire formaté, filmant entre drôlerie, sensualité bizarre et sensibilité sa muse underground Amanda Dawson. La différence et les comportements marginaux sont au cœur de ce triptyque, choc esthétique (malgré des moyens très réduits, la mise en scène est d’une audace et d’une puissance rares), expérience de cinéma qui amène le spectateur à se perdre au cœur d’un univers dense et poétique malgré l’atrocité de ce qu’il raconte parfois.
A travers JC, minet fragile à la sexualité masochiste, Antony Hickling parle du chemin de croix qu’à pu constituer et que constitue encore l’homosexualité. L’homophobie d’un passager de métro, la difficulté à trouver l’amour et l’apaisement, la descente aux enfers de jeunes garçons perdus qui se laissent entraîner dans des plans culs extrêmes alors qu’ils n’ont pas les épaules aussi solides qu’ils voudraient le croire, la menace du Sida, les manifestations contestataires… La violence est toujours là, palpable ou non, visible ou plus subtile. Là où le projet aurait pu très facilement basculer dans le pathos, son réalisateur préfère opter pour l’abstraction, le sensoriel. Little Gay Boy nous invite à déambuler dans l’univers, charnel et mental, de son jeune héros. Comme à la vision d’un tableau, des choses évidentes émergent et d’autres travaillent intimement chaque spectateur, son vécu, ses fantasmes et ses peurs. Le cinéma se mêle à la danse, la performance, on se laisse noyer dans une multitude de plans troublants, de situations déroutantes. Si certains pourront être choqués, impossible de ne pas louer l’originalité de l’ensemble. On pourrait citer Fellini, Pasolini ou Jarman histoire de se raccrocher à un style, à quelque chose, mais force est de constater qu’il se passe ici quelque chose d’assez précieux pour être signalé : nous sommes face à un film au style singulier, qui ne ressemble à aucun autre, qui n’hésite pas à bousculer, provoquer, pour offrir au public des sensations fortes, des réflexions loin d’être vaines.
Condamné par le ciel avant même sa naissance, JC se poussera dans ses propres retranchements jusqu’à une ultime confrontation avec son père. Ce dernier apparaît dans le dernier chapitre, Holy Thursday (The Last Supper), incarné magistralement par Manuel Blanc. JC le retrouve sur une aire naturiste que l’on est en droit de percevoir comme une sorte de purgatoire, d’entre-deux ,érotique et cauchemardesque à la fois, où le père encourage son fils à faire des fellations avant de le demander en mariage (!). Cela faisait longtemps que l’on avait pas vu une figure paternelle aussi glaçante (on rit jaune face à ses blagues au goût franchement douteux, on reste sans voix, entre effroi et sensualité enfouie, face à cet homme volage et pervers). Le film se clôture sur une scène de banquet aussi dérangeante que mémorable. Il y a quelque chose de sadien là-dedans, une puissance narrative et esthétique qui travaille constamment l’inconscient. Une claque.
Film produit en 2013