FICTIONS LGBT
Looking, saison 1 : toujours en quête
Patrick (Jonathan Groff), designer de jeux vidéos, vit à Castro, le quartier gay de San Francisco. Gay et célibataire depuis presque toujours, il passe la majeure partie de son temps à chercher des rencontres sur Internet (même et surtout pendant ses horaires de travail) ou à traîner avec ses amis, eux aussi gays. Son meilleur ami et colocataire Agustin (Frankie J. Alvarez) déménage pour habiter avec son compagnon, Frank (O.T. Fagbenle). Mais leur couple va avoir du mal à résister à ce nouveau rythme. Agustin, artiste qui ne maîtrise pas l’art du compromis sans pourtant savoir où il en est, va traverser une phase de doutes. Alors que son art se cherche, son couple part lentement à la dérive, entre une possibilité d’ouverture aux autres et des problèmes de communication de plus en plus fréquents. Autre ami de Patrick, Dom (Murray Bartlett) vit non sans angoisse son passage à la quarantaine. « A 40 ans, Grindr t’envoie un certificat de mort » lance-t-il alors qu’il redoute de ne plus pouvoir séduire comme avant tout en réalisant qu’il n’est pas celui qu’il avait espéré devenir en passant ce cap. Serveur, solitaire malgré lui, il va tenter de bousculer son quotidien en partie grâce à la rencontre d’un homme plus âgé, rencontré dans un sauna : Lynn (Scott Bakula). Avec l’aide de ce dernier, il va tenter de monter son propre restaurant. Mais, en manque d’affection il se pourrait qu’il mélange un peu tout avec son associé… à moins qu’il s’agisse vraiment des prémisces d’une grande histoire d’amour ? Face à ses camarades pas loin de la crise, Patrick continue de mener sa vie avec une relative insouciance. Au travail, son nouveau patron, le très sexy Kevin (Russell Tovey), l’attire sans qu’il n’ose vraiment prendre la chose au sérieux. Après quelques rendez-vous ratés, c’est finalement avec un coiffeur mexicain, Richie (Raul Castillo), qu’il va essayer pour la première fois de construire une véritable relation…
Dans Looking, chaque personnage se cherche et tente de donner un sens à son existence. Eternel célibataire, Patrick aimerait essayer de se caser. Mais il est encore assez immature, ne sait pas vraiment comment s’y prendre pour faire bonne impression lors de ses rendez-vous. La chance finit pourtant par doublement lui sourire puisqu’il va se retrouver face à deux hommes qui pourraient l’amener vers quelque chose de profond. Le premier est Richie, mexicain sérieux et sensible qui va lui faire découvrir la beauté de la complicité, de rapports plus tendres, ne se limitant pas au sexe. A la fois euphorique et un brin nerveux face à des sentiments nouveaux pour lui, il essaie d’aller un peu trop vite et finit par ne plus savoir où il en est. Il faut dire que le deuxième homme qui a une place, plus ou moins inconsciemment, dans son cœur ne facilite pas la situation : il s’agit de son patron Kevin, avec qui la tension sexuelle est quasi-permanente au bureau et qui est lui-même déjà en couple… A travers Patrick, il est question de la recherche de l’amour. La série évite tous les pièges de la tranche de vie de trentenaire célibataire. Looking joue très peu de l’artifice, préférant rester au plus près de ses personnages, tout en prenant son temps. On a vraiment l’impression de partager le quotidien des différents protagonistes. La mise en scène est délicate et sensuelle, le scénario prend le temps de tisser pour chacun de ses « héros » une psychologie riche en nuances, la forme est soignée avec un cachet « cinéma d’auteur » sans jamais être tape à l’oeil, sans avoir recours de façon intempestive à la musique. C’est un regard nouveau à la télévision pour l’homosexualité. Contrairement à Queer As Folk, série culte qui l’avait précédé, Looking préfère jouer la carte de la sobriété, s’appuyant sur un casting à la fois plein de charme sans pour autant sembler sortir d’une couverture de magazine gay. C’est que la vie des gays américains à changer elle aussi. Plus de coming out douloureux, l’homosexualité est une donnée parmi tant d’autres, le mariage une possibilité. Chacun aspire simplement à des idéaux universels : trouver l’amour, le cultiver, se réaliser dans son travail…
Si son sujet n’est pas particulièrement original et que le show joue beaucoup sur son charme intimiste, les qualités d’écriture portent l’ensemble à un niveau bien supérieur de celui des autres soaps. Les répliques sont souvent drôles, les dialogues très réalistes et bien sentis, les situations parfois surprenantes comme peut l’être la vie. Les scénaristes semblent se ficher des panels, d’une éventuelle bonne image de l’homosexualité à renvoyer. Ils construisent des personnages qui ont tous leurs qualités et leurs défauts, qui sont quasi-tous très attachants mais non dénués de zones d’ombre, de blocages qui les empêchent de devenir ceux qu’ils rêveraient d’être.
Si le pilote donne le ton d’un drama qui ne cherche pas à révolutionner un quelconque genre mais simplement à raconter avec finesse la quête identitaire de quelques garçons d’aujourd’hui, les suivants peuvent un peu inquiéter dans un premier temps. Looking joue de la lenteur, ne nous laisse pas avec un suspense à la fin de chaque épisode. Le format de 30 minutes génère une certaine frustration : on a l’impression de ne pas voir assez le personnage de Dom qui est pourtant l’un des plus attachants, de n’entrevoir qu’une toute partie de sa vie. De même, les problèmes de couple entre Agustin et Frank, ne parviennent pas totalement à nous émouvoir comme ils le devraient, traités de façon trop détachée. La locomotive est définitivement le segment de Patrick, personnage le plus « lisse », celui auquel le plus grand nombre peut s’identifier. Et si les premiers épisodes suivant le pilote prennent le temps de poser des marques quitte à ne pas « exciter » assez son spectateur, le surprendre, cela vaut le coup de s’accrocher. La série s’envole à partir de son cinquième chapitre. On y suit Patrick et Richie le temps d’une journée, celle où pour la première fois quelque chose de sérieux s’annonce pour notre trentenaire moins léger qu’il n’y paraît. On pense beaucoup au film Week end de Andrw Haigh (qui réalise et produit en partie la série). Sens du détail, sensibilité, la capacité de faire de l’anecdotique quelque chose de profondément émouvant. Petit à petit les personnages montrent leurs failles, on réalise que sans s’en rendre compte on en a déjà fait des amis et que subitement chacune des barrières qui se présentent à eux nous touche.
La difficulté de se lancer dans une relation sérieuse, la confusion entre les sentiments et le désir, la peur du temps qui passe, la difficulté d’être en accord avec soi-même. Autant de thèmes à la fois simples, modestes et complexes traités ici avec un regard très personnel et une belle intensité. Looking fait partie de ces séries qu’on s’approprie, qui finit par nous rendre complètement addict sans forcer le trait. Portée par des critiques élogieuses, le show a été reconduit après 8 épisodes pour une deuxième saison dont la diffusion devrait avoir lieu début 2015 aux Etats-Unis.