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LOVE IS THE DEVIL de John Maybury : la passion de Bacon

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Un soir, un bel inconnu pénètre dans l’atelier du peintre Francis Bacon (Derek Jacobi). Le voyou est pris la main dans le sac en pleine tentative de cambriolage. Au lieu de s’alarmer, Bacon lui propose de rester là et de le rejoindre dans son lit. Imprévue et drôle d’entrée en matière pour une liaison entre hommes qui ne sera pas sans tourments.

Au fil des semaines et des mois, Francis Bacon passe de plus en plus de temps avec son nouvel ami et amant. Il s’appelle George Dyer (Daniel Craig), est une petite frappe issue d’un milieu modeste. Il n’est pas spécialement cultivé mais malin. Petit à petit, George tente de s’intégrer dans l’univers de celui dont il tombe amoureux. Mais le comportement hautain et le tempérament destructeur du célèbre peintre finissent par transformer ce qui était une belle histoire en un véritable fardeau.

Ne se sentant pas à sa place, se laissant plus ou moins consciemment instrumentaliser par celui dont il partage désormais le quotidien, George perd pied, s’abandonne aux démons de l’alcool et de la drogue. S’il fait mine de se ficher des états parfois inquiétants de son compagnon, Bacon ne peut plus vraiment se passer de lui. Entre passion et mort, tendresse et déchirement, récit d’un amour en forme de montagnes russes.

love is the devil film bacon

Plutôt que d’opter pour un biopic classique, John Maybury a décidé de dessiner un certain portrait de Francis Bacon à travers sa passion avec son jeune amant George Dyer. On sent chez le réalisateur un vrai désir de s’approprier l’oeuvre de l’artiste, de la matérialiser de façon sensorielle sur grand écran tout en la mêlant à un épisode intime. C’est donc une expérience formelle qui nous est proposée, oscillant entre passages troublants et artifices parfois poseurs. Si l’on ne pourra pas reprocher à l’ensemble de manquer d’originalité, il émane quelque chose de parfois indigeste. Entre beauté et kitsch, maîtrise et maladresses, abstraction et académisme, Love is the devil (sous-titré « Study for a Portrait of Francis Bacon ») est un film hybride, à l’atmosphère et au rythme particuliers, un peu malade. Difficile de dire où le projet pêche vraiment : est-ce le montage, l’écriture ou la mise en scène ? Quelque chose manque, empêche le film de vraiment s’envoler sans que sa vision ne manque d’intriguer pour autant.

Ce qui est certain, c’est que l’interprétation ne déçoit pas. Derek Jacobi se fond merveilleusement dans la peau d’un Bacon montré dans toute son ambivalence. Il est tour à tour fantasque, amusant, pervers, cruel… Portrait sombre et éclaté d’un homme attiré par les ténèbres, par la violence, qui ne peut s’empêcher de chercher la douleur, s’adonnant non sans délice à des étreintes SM, méprisant ceux qui finissent par trop l’aimer. Un génie pouvant apparaître sans pitié, lucide et presque cynique sur sa difficulté à accepter les aspects plus lumineux de la vie. Forcément, à ses côtés le viril mais doux et sensible George finit par se laisser vampiriser. Captivé par cet homme cultivé qui lui ouvre les portes d’un nouvel univers, il se retrouve prisonnier. Daniel Craig, charnel et touchant, apporte au projet sensualité et mélancolie.

Peinture d’une passion entre amour et haine profonde, Love is the devil capte par moments la fièvre et le mal-être de deux hommes opposés plongés dans une danse vénéneuse et irrésistible.

Film sorti en 1998, trouvable en import DVD et DVD d’occasion 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3