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MAIN DANS LA MAIN de Alexandre Oppecini : avancer ensemble

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Entre romance dans l’air du temps, répliques de comédie drôles et crues et drame teinté d’homophobie, l’auteur Alexandre Oppecini raconte l’amour naissant de deux garçons très différents et joliment complémentaires dans sa pièce Main dans la main. Avec les beaux et très justes Fabien Ara et Nathanaël Maini dans les rôles principaux. 

Paul (Fabien Ara), la petite trentaine, mène une vie solitaire et un peu vaine qui lui va très bien. Après sa journée de travail comme vendeur chez H&M, il trompe l’ennui en trainant sur Grindr et accumule les amants de passage. Un soir, très tard, il n’a pas beaucoup de choix et fait venir le mec le plus proche et qui semble le mieux pourvu par la nature. Débarque chez lui Manu (Nathanaël Maini), la quarantaine, informaticien, viril, corse, « hors milieu » et discret. L’homme n’a visiblement pas l’habitude de ces rencontres express et est un poil mal à l’aise, essaie de faire connaissance alors que Paul a envie de passer le plus vite possible à l’action.

On ne pouvait pas faire plus différents que ces deux là : ils ne sont pas de la même génération, n’ont pas du tout les mêmes centres d’intérêt, ne vivent pas leur homosexualité de la même façon. Paul, c’est un peu « le petit monstre de Grindr », complètement accro aux rencontres à tout va, aspiré par une sexualité désincarnée et sur-consommée. Il fuit tout engagement potentiel et adore lancer des pics qui peuvent laisser pantois. Manu, lui, ne se reconnait pas dans la culture gay et les applications. Il aimerait vivre une vraie histoire d’amour mais il ne s’assume pas, convaincu que sa famille corse très traditionnelle ne l’accepterait jamais tel qu’il est.

Malgré les différences, l’alchimie au lit se fait. Et sans doute quelque chose de plus que les deux partenaires d’une nuit n’arrivent pas à nommer. Ils vont se revoir, beaucoup. Juste pour le plaisir… jusqu’à ce que Manu propose l’air de rien d’aller manger quelque chose. A partir de là, tout va changer pour eux : face à l’évidence de sentiments naissants qui les encombrent (ils ont tous les deux peur d’aimer) autant qu’ils les font exulter, Paul et Manu vont tenter d’avancer à leur manière « Main dans la main ». 

main dans la main alexandre oppecini

Le début de la pièce n’hésite pas à y aller franchement dans sa peinture crue des relations d’un soir via Grindr. C’est brut de décoffrage, acide parfois, universel assurément. On part de deux « profils gays » clichés, très typés (le passif amateur de gros calibres, un peu efféminé et diva sur les bords et l’homme viril actif, hors milieu et daddy) pour mieux les dépasser. Au fil du temps et des situations, les apparences se révèlent trompeuses, plus contrastées qu’elles n’en ont l’air. Car chaque être humain a ses failles et ses raisons pour avoir peur d’aimer et de s’engager, pour parfois sans même s’en rendre compte tourner le dos au bonheur. 

C’est là dès le départ mais on le comprend vraiment en cours de route : toute l’histoire qui nous est racontée tient en des fragments, des passages déterminants où l’on se tient la main et qui surgissent alors que les deux personnages vont être confrontés à une agression homophobe. 

main dans la main alexandre oppecini

Par son écriture très précise, sensible et que l’on devine personnelle, l’auteur Alexandre Oppecini (qui avait déjà signé une très belle pièce, plus sombre, prenant place dans le monde de l’entreprise : T-Rex) croque de façon hyper juste et authentique quelque chose des relations gays d’aujourd’hui. Il est formidablement aidé par ses deux comédiens qui vont si bien ensemble sur scène, qui arrivent tellement à créer une alchimie semblant réelle, qu’on a l’impression de vivre toute leur relation à leurs côtés. Ce qu’ils ressentent est palpable à un tel point que par moments en tant que spectateur on se sent presque gênés, voyeurs : c’est peu dire que la pièce arrive très bien à retranscrire la naissance de l’intimité.

Entre deux répliques tordantes, Main dans la main va confronter ses deux protagonistes à leurs doutes et leurs démons pour peut-être enfin finir par faire un bout de chemin ensemble. Une invitation à oublier la noirceur qui nous entoure ou qui nous a malmené par le passé et à donner une chance au bonheur. On ressort de là ému et avec le sourire. 

A l’heure de l’écriture de ces lignes la pièce se joue les lundis et mardis à 19h30 au Théâtre du Marais à Paris 

main dans la main alexandre oppecini

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3