FICTIONS LGBT

MARTYR de Mazen Khaled : ballet funeste

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Long-métrage poétique sur le deuil, Martyr est aussi et surtout l’occasion pour le réalisateur Mazen Khaled de dresser le portrait d’une jeunesse libanaise qui n’ose presque plus rêver. Le tout avec un homoérotisme troublant.

Hassane (Hamza Mekdad) vit dans un quartier pauvre près de Beyrouth. Ayant délaissé la bande de voyous avec qui il traînait, il essaie de se remettre dans le droit chemin et de contenter ses parents très traditionnels chez lesquels il vit. Il dort par terre dans le salon et son temps sous la douche est compté pour faire des économies. Il vient de perdre son dernier travail : il ne supportait plus les humiliations de ses employeurs.

Pour fuir ce quotidien dur et sans perspective, Hassane aime paresser avec ses amis, se prélassant sur la corniche et se baignant dans la mer. Il partage notamment une amitié fusionnelle avec le beau Mahdi (Moustafa Fahs). Une amitié amoureuse qui ne dit pas son nom. Après un après-midi à évoquer son existence morne et ce terrible sentiment d’être prisonnier et de ne plus vraiment savoir quoi attendre du futur, Hassane décide de relever un défi idiot : faire un grand saut du haut de la corniche. Les choses dérapent…

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On ne pourra pas reprocher au réalisateur Mazan Khaled de ne pas être original ou de ne pas avoir de style. Martyr est une oeuvre singulière, poétique, difficile d’accès peut-être mais qui ne manquera pas d’intriguer et d’envoûter les cinéphiles patients. On peut scinder l’oeuvre en deux parties. La première nous fait ressentir le sentiment de fatalité du personnage principal, Hassane, jeune complètement bridé. Contraint d’habiter chez ses parents moralisateurs, désespérant de trouver un travail qui ne soit pas un supplice, conscient qu’il ne pourra jamais aimer comme il le voudrait (il est à l’évidence amoureux de son meilleur ami auquel il ne peut dire ses sentiments). La seconde est un récit de deuil qui se matérialise de façon irréelle, mettant les protagonistes face à leur culpabilité et leur désespoir.

Très subtil, le film raconte par petites touches le quotidien difficile d’une certaine jeunesse libanaise marginalisée, le poids des traditions et de la religion, du regard des autres, l’impossibilité de se réaliser. L’intrigue finit par devenir secondaire tant la forme prend le dessus, flirtant joliment avec l’expérimental, la danse, la performance. Au-delà des vivants et des morts, Martyr nous plonge dans un envoûtant ballet des corps, chargé en mélancolie et en sensualité. A défaut de pouvoir dire les choses par les mots, les images proposent une autre parole faite de caresses, de frôlements, de regards.

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Si la thématique gay du film est à priori secondaire et jamais évoquée clairement, elle apparait pourtant centrale de par les partis pris de mise en scène qui transcendent en permanence la beauté de ses jeunes interprètes sensibles et enfermés dans leur virilité. L’ensemble est d’un homoérotisme hypnotique, de quoi rendre cette danse macabre magnétique.

Film produit en 2017. Disponible en DVD et sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3