CINEMA

MEURTRIÈRE AMBITION de Gerd Oswald : pour la réussite

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Kathy Ferguson (Barbara Stanwyck) est une journaliste populaire qui tient le courrier des lectrices d’un célèbre quotidien. Consacrant toute sa vie à son travail, elle est une femme libre et indépendante, ce qui n’est pas du goût de la plupart des hommes qu’elle est amenée à côtoyer. Au journal, l’air de rien, on lui laisse entendre que ses pages sont loin d’être irremplaçables et quand par hasard la working woman se retrouve confrontée à deux policiers enquêtant sur une affaire de meurtre et se permet de s’affirmer, on lui lance au visage qu’elle ferait mieux de rentrer chez elle et d’essayer de trouver un mari.

Le problème de Kathy sera de finalement finir par vouloir se conformer. Quand l’un des deux flics, le très ordinaire Bill Doyle (Sterling Hayden) l’invite à dîner, ses yeux brillent et sa carapace de femme forte tombe instantanément. Tombant folle amoureuse (ou se persuadant de l’être), elle décide de tout plaquer, y compris une alléchante promotion à New York, pour devenir une épouse dévouée.

Mais le quotidien de femme au foyer finit rapidement par lui apparaître insoutenable. Elle était habituée à se faire respecter auprès des hommes, désormais on la place avec les épouses aux conversations futiles dans le salon. Vivant très mal cette nouvelle vie, Kathy finit par tout projeter sur son époux. Elle désespère de le voir si peu ambitieux et se met alors en tête de l’aider à gravir les échelons de sa hiérarchie. Quitte à aller trop loin…

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Si Meurtrière ambition (Crime of passion en VO) utilise de nombreux codes du film noir, le long-métrage de Gerd Oswald est aussi et surtout un mélodrame proposant un énième rôle de femme riche en nuances à la géniale Barbara Stanwyck. Présentée comme une héroïne moderne, déterminée, charismatique, se battant pour exister dans un monde d’hommes souvent misogynes, le personnage de Kathy s’égare en cédant à la tentation d’une vie « normale ». Il suffit qu’un homme pose les yeux sur elle pour qu’elle remette en cause tout ce qu’elle était parvenue à bâtir jusqu’alors. On ne sait pratiquement rien du passé de cette femme, ce qui laisse la porte ouverte à de multiples interprétations quant à son comportement. Il y avait en tout cas en elle quelque chose de fragile, un besoin d’amour que Bill Doyle semble combler dans un premier temps. Et la femme battante qui moquait non sans cynisme les ménagères enfermées chez elle et soumises aux hommes de devenir de façon consentie tout ce qu’elle méprisait…

Difficile de dire si Kathy est vraiment folle amoureuse de son époux ou si elle cherche à se convaincre d’avoir trouvé l’homme de sa vie. Ce qui est certain, c’est qu’elle finit vite par étouffer. Les réceptions en ville où elle doit endurer les bavardages futiles des épouses des collègues de Bill la mettent à bout. Kathy veut une vie extraordinaire et ne peut se résoudre à endurer un quotidien morne et répétitif. Elle se met alors en tête de tout faire pour « aider » son mari, qui ne lui avait pourtant absolument rien demandé, à monter en grade. Mettant en place toute une série de stratagèmes et manipulations, elle se régale en créant un peu d’action, en ayant l’illusion d’avoir à nouveau le contrôle sur les choses. Sans s’en rendre compte, elle va sérieusement déraper…

La mise en scène est plutôt classique mais pas dénuée d’élégance, Barbara Stanwyck est formidable et rend terriblement attachante une femme rongée par le désespoir d’une vie qui ne colle pas à ses fantasmes. Elle se rêvait en grande journaliste, mariée à un homme plein de succès, comploteuse experte et pourquoi pas même maîtresse fatale : finalement elle ne sera qu’un triste fait divers, à l’image de celui qu’elle évoquait dès le début du métrage. Assez subtilement, le film dépeint un monde qui ne fait pas de cadeaux à la gent féminine de l’époque, culpabilisée quand elle s’émancipe, enfermée dans son statut quand elle se conforme…

Film sorti en 1957 et trouvable en DVD en import ou d’occasion

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3