CINEMA

MIRAGE DE LA VIE (Imitation of Life) de Douglas Sirk : rêves conflictuels

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New York, années 1950. Lora Meredith (Lana Turner) est une mère célibataire rêvant de devenir actrice. Mais il n’est pas évident pour elle de jongler entre les castings et l’éducation de sa petite fille Susie. Un jour ensoleillé, alors qu’elle panique, pensant avoir perdu sur la plage son enfant, Lora fait la rencontre de deux personnes qui constitueront des piliers dans sa vie : Annie Johnson (Juanita Moore), mère célibataire comme elle, de couleur noire, et Steve Archer (John Gavin), séduisant photographe qui ne tarde pas à lui faire la cour. Se prenant d’affection pour Annie et sa fille Sarah Jane, Lora embauche cette dernière comme gouvernante et bonne à tout faire. Elle reprend avec plus ou moins de succès les auditions. Alors qu’elle commence à douter de ses chances de faire carrière, Steve Archer lui déclare son amour et la demande en mariage. Prête à accepter, la belle finit par prendre ses distances lorsqu’on lui offre un rôle prestigieux.

Les années passent et Lora Meredith devient une grande actrice, enchainant les rôles, et se trouvant financièrement largement à l’abri du besoin. Après une relation avec un metteur en scène, elle revoit Steve, qui l’aime comme au premier jour. Mais les problèmes restent les mêmes : Lora ne peut conjuguer brillante carrière et vie personnelle et familiale épanouie. Faisant tourner en rond l’homme qui l’aime, laissant son rôle de mère à la bonne Annie, l’actrice n’est pas très fiable même si elle aimerait bien l’être. La généreuse et dévouée Annie la soutient quoi qu’il arrive et veille au bien être de Susie, devenue une jeune femme. Cette dernière finit par éprouver des sentiments pour Steve Archer : de quoi perturber une relation déjà fragile, pleine de non dits et de frustrations avec sa génitrice.

Au rayon des problèmes mère-fille : Annie est de plus en plus abattue par le comportement violent et provoquant de sa fille Sarah Jane. Cette dernière la blâme en permanence d’être noire et l’accuse de lui faire honte. Ayant la peau blanche, Sarah Jane renie ses origines et développe une haine démesurée envers celle qui l’a pourtant toujours aimée.  La vie passe, les personnages avancent et ne font pas toujours les choix les plus judicieux…

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Adaptation libre de l’œuvre de Fanny Hurst, Imitation of life (déjà vue au cinéma en 1934 avec un film de John M. Stahl), Mirage de la vie est considéré comme le film testament de son auteur, Douglas Sirk. Magnifiques couleurs, interprétation sensible, thèmes universels : ce mélodrame ne manque pas de bouleverser tout en étant plus complexe qu’il n’y paraît. Retour aux années 1950. Le racisme est encore bien présent aux Etats-Unis. Annie Johnson, consciente de la tare que représente le fait d’être née avec une couleur de peau différente de la majorité sur ce sol, s’accoutume des obstacles du quotidien, s’en remet à Dieu et ne baisse jamais les bras. Elle va servir pendant des années Lora Meredith à laquelle elle sera entièrement dévouée, lui portant un amour et une admiration sans limite. C’est que Lora Meredith est la seule l’ayant pris sous son aile avec sa fille Sarah Jane, leur offrant un foyer, une vie. Mais si elle la considère comme une amie, un membre de sa famille, l’actrice la prend toujours, plus ou moins consciemment, de haut, la cantonnant à son rôle de bonne bien docile. Un détail que ne manque pas de remarquer Sarah Jane, fille rebelle reniant ses origines, confrontant sa « maitresse » à son hypocrisie lors d’une réception, débarquant avec un plateau sur la tête et jouant à l’esclave noire. Ce sont deux façons de vivre le racisme qui sont exposées. Annie Johnson finit par accepter les inégalités et se contente du peu qu’elle est en droit d’exiger tandis que Sarah Jane (dotée d’une apparence de blanche) est dans la révolte constante. Une révolte qui se mue en colère de plus en plus violente. A force de subir les préjugés sur les noirs, elle finit par se dégouter elle-même de ses origines et demande à sa mère de ne plus l’approcher. Des rapports très forts, violents, qui hissent le long-métrage à des pics de cruauté et d’intensité. Finalement, le seul moment durant lequel Annie pourra être célébrée, traitée comme une femme que l’on admire et respecte, sera le jour de son enterrement (qu’elle avait consciencieusement préparé toute sa vie durant).

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Autre rapport mère-fille tendu : celui de Lora Meredith et Susie. Si elles ne s’affronteront jamais comme Annie et Sarah Jane, leurs différents sont latents, plus pernicieux. Consciente qu’il n’est pas aisé pour une femme de faire carrière dans l’Amérique des années 1950, Lora Meredith se bat et y consacre toute sa vie. Susie trouvera l’affection dont elle a besoin auprès d’Annie, sans broncher. Mais petit à petit, les absences de sa mère l’amènent sur la voix des reproches. Dès le début du film on peut constater à quel point Lora fait une piètre mère (elle perd son enfant suite à un moment d’inattention). Cette inattention perdurera au fil des années, créant chez Susie des carences, l’amenant à tomber amoureuse de son « père de substitution », le beau et romantique Steve (un des plus beaux rôles du magnifique John Gavin).  Ce dernier souffre lui aussi du carriérisme de Lora, qui reléguera toujours leur amour au second plan.

Le générique d’ouverture , avec sa superbe chanson, nous avertit : sans amour, la vie n’est qu’un mirage. Annie aime Sarah Jane malgré toutes les horreurs qu’elle lui fait subir, Steve reste présent autour de Lora même si elle ne pense toujours qu’à son ascension professionnelle. Ceux qui aiment sans condition, parfois sans le retour espéré, ne sont pourtant pas ceux qui finissent par souffrir le plus. Lora Meredith est progressivement amenée à réaliser à quel point sa vie lui échappe, la coupe de ceux qu’elle aime (elle ne saura finalement que peu de choses sur la vraie vie de sa fille ou d’Annie) tandis que Sarah Jane réalisera trop tard à quel point elle a été dure avec sa mère, qu’elle a toujours aimée dans le fond. Emotions complexes, contradictoires, difficulté à accepter la vie telle qu’elle est : Mirage de la vie est une œuvre dense et intemporelle, essentielle.

Film sorti en 1959. Disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3