CINEMA

MODEL SHOP de Jacques Demy : l’Amérique des désillusions

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George (Gary Lockwood) vit avec sa petite amie aux airs de Barbie dans une maisonnette à la décoration colorée. Alors que des agents de recouvrement sont à ses trousses et s’apprêtent à lui prendre sa voiture adorée, George dispose d’un sursis de 24 heures pour récolter 100 dollars. Nous allons le suivre durant ce jour particulier où il rendra visite à un ami musicien mais où surtout il croisera le chemin d’une mystérieuse française dont la beauté ne le laisse pas indifférent. Elle s’appelle Lola (Anouk Aimée) et elle travaille au « Model Shop », une boutique particulière où les hommes paient pour photographier des demoiselles légèrement vêtues. Obsédé par Lola, George en oublierait presque ses problèmes financiers et sa convocation au service militaire alors que la guerre du Vietnam est au cœur des préoccupations…

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Model Shop marque l’incursion de Jacques Demy à Hollywood. Tourné à Los Angeles, ce film est le portrait d’un homme perdu. George rêverait d’être architecte mais les places sont chères, trop pour lui. Sa petite amie ne le comprend pas et lui tape sur le système. Il vit dans la peur de se retrouver à faire son service militaire. Et voilà qu’en plus il s’éprend d’une modèle énigmatique et inaccessible. Cette modèle c’est Lola, LA Lola du film éponyme de Demy qu’on découvre bien des années plus tard. Elle a perdu l’amour, elle ne fréquente plus que des hommes de passage. Elle est toujours aussi charmante et fatale. Pour tout cinéphile c’est donc un grand plaisir de retrouver ce personnage mythique du cinéma, on est en plein dans la nostalgie. Nostalgie qui se lit aussi sur le visage de Lola, dont l’album photo contient des souvenirs qu’on imagine douloureux.

Echec commercial, ce long-métrage international avait décontenancé les spectateurs. Jacques Demy avait enfin l’opportunité avec un budget confortable de laisser aller son génie créatif et son amour de la comédie musicale ou en-chantée. Et voilà qu’il livre un portrait intimiste d’un américain perdu dans une Amérique quelque peu désillusionnée. Tout le film durant règne un spleen certain qui ne manque pas de charme. Si les couleurs si familières à l’univers du cinéaste sont toujours très présentes, elles sont une fois de plus un contraste face aux situations des protagonistes qui n’ont rien d’un enchantement. Le naïf George va peut-être tomber amoureux pour la première fois et se prendre une claque magistrale. Une des dernières scènes où il est au téléphone est un moment d’émotion rare. Gary Lockwood nous fait partager ce moment où l’on réalise que l’amour est perdu et que les espoirs d’avenir sont brisés. Ce qui était donc parti comme un walk/road movie à Los Angeles évoquant le cinéma indépendant de l’époque mais aussi La nouvelle vague, se révèle au final particulièrement bouleversant. Inutile de préciser qu’ Anouk Aimée est splendide avec son accent frenchy irrésistible.

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Alors que Demy cinéaste livre une photographie d’une Amérique à deux vitesses où l’American Dream montre ses limites (mais où les hippies et l’espoir pointent quand même le bout de leur nez), son personnage principal photographie une femme qu’il ne pourra jamais retenir. Lola ne sera sienne que sur un cliché. Comme l’aventure américaine de Jacques Demy qui s’arrêtera après cette production réjouissante d’un point de vue artistique mais peu fructueuse au box office.

Film sorti en 1968. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3