CINEMA

MONSIEUR KLEIN de Joseph Losey : Delon kafkaïen

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Le film s’ouvre sur une visite médicale peu commune. Une femme voit tout son corps analysé pour déceler si elle est, oui ou non, une juive ou « autre personne suspecte ». Bienvenue dans la France du début des années 1940 où il est vivement conseillé d’être un « bon français ».

Dans ce climat étouffant et injuste, un homme bourgeois continue de mener une vie normale. Il s’apelle Robert Klein (Alain Delon) et il est collectionneur. En bon filou, il profite de la détresse des juifs pour leur racheter à bas prix des œuvres d’art. Mais alors qu’il raccompagne un vendeur sur son pallier, Monsieur Klein découvre posé au sol un journal juif auquel il serait abonné. Hors, non, il n’est pas juif et il ne tolèrera pas cette méprise. Il se rend illico au journal et à la Préfecture pour prouver sa bonne foi et son « innocence ». Mais au lieu d’être libre de tout soupçon, il va se retrouver peu à peu suspecté d’être réellement juif.

Pris dans un énorme cercle vicieux, Robert Klein va alors décider de mener son enquête et tenter de comprendre comment tout ce cirque a pu se déclencher. Il y aurait, apparemment, un homonyme qui se servirait de lui pour ne pas finir dans un camp. Plus son enquête avance, plus Klein se retrouve en pleine crise identitaire. Parviendra-t-il à stopper sa chute ?

monsieur klein film joseph losey

On aurait tendance à affirmer que sans Harold Pinter au scénario, le cinéma de Joseph Losey ne pouvait atteindre les sommets. Monsieur Klein est là pour prouver le contraire. Une œuvre définitivement kafkaïenne dans laquelle Alain Delon (acteur et producteur du film) se perd avec une incroyable grâce. Décrié lors de sa sortie, Monsieur Klein montre les revers de l’extrémisme dans une France franchement pas glorieuse. Aucune présence d’allemands ici bas, Losey touche donc là où ça fait mal en montrant bien que nous autres français avons été trop loin dans la persécution du peuple juif. Car être juif à cette époque était bel et bien tristement considéré  comme une honte. Le personnage principal cherche d’ailleurs au début du film à tout faire pour prouver que c’est un « bon français » et qu’il n’a rien à voir avec cette communauté. Seulement voilà, son enquête va rapidement tourner à l’obsession et lui révéler l’horrible société dans laquelle il évolue. Une société abjecte où la peur et l’intolérance sont devenues des règles. Personne à qui se fier (même son meilleur ami Pierre est prêt à le trahir à la première occasion) , personne avec qui partager ses doutes…Robert Klein va peu à peu se perdre avant de déraper pour de bon.

Joseph Losey réussit à nous faire tomber avec son personnage principal dans une atmosphère pleine d’insécurité, de doutes. On envisage alors de multiples possibilités, pistes d’interprétation. Robert Klein a-t-il vraiment un homonyme ? Est-il schizo ? Est-il vraiment juif ? Le film semble trancher en proposant le portrait d’un homme qui, finalement conscient de l’absurdité de son Pays, décide qu’il n’a plus rien à perdre. Progressivement, Robert Klein va donc avoir de l’empathie pour son homonyme recherché et source de tous ses tracas. Et lors d’une scène follement virtuose au Vel d’hiv, Klein se perd dans la foule à la recherche de ce dernier, prenant le risque de se retrouver lui-même (sans raison valable) propulsé dans un camp. Si cette hypothèse est la plus logique, l’intelligence de ce film est de ne pas autant réfuter d’autres pistes. On pourra y trouver différentes lectures selon sa propre perception (rationnelle ou moins rationnelle). Portrait d’un homme brisé, film labyrinthique sur l’identité, enquête policière : Monsieur Klein échappe aux genres et se révèle être un film implacable et vertigineux.

Film sorti en 1976 et en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3