FICTIONS LGBT

MY TWO DADDIES (Any Day Now) de Travis Fine : la famille impossible ?

By  | 

West Hollywood, 1979. Rudy Donatello (Alan Cumming), chanteur sans-le-sou, a presque abandonné son rêve de sortir un disque et de se produire dans de prestigieux clubs. Il gagne sa vie en exécutant un numéro de travesti, en playback sur des tubes discos.

C’est dans une boîte gay ,alors qu’il livre une performance sur le titre « Come to me » de France Joli, que son regard croise celui de Paul Fleiger (Garret Dillahunt), avocat divorcé et encore dans le placard. Ils finissent dans la voiture de ce dernier pour un petit moment d’oubli. Paul laisse son numéro, Rudy espère.

Puis Rudy fait la connaissance d’un ado handicapé mental de 14 ans, qui vit dans l’appartement juste à côté du sien. Il découvre que la mère du jeune homme est une junkie qui le laisse la plupart du temps seul quand elle ne passe pas son temps à se défoncer ou à faire l’amour devant lui, la musique à fond. Quand il réalise que la mère a plus ou moins abandonné son enfant et qu’elle est en prison, il l’accueille chez lui. Et sollicite Paul pour l’aider à tenter de le garder avant que les services sociaux ne le récupèrent. Mais Paul est mal à l’aise, n’assume déjà plus leur rencontre.

Finalement, l’avocat va prendre son courage à deux mains et revoir son amant d’une nuit. Il va même l’aider à obtenir la garde temporaire du garçon, avec l’accord de sa mère, laissant emménager dans son bel appartement Donatello et le jeune handicapé, faisant croire au tribunal que lui et son premier compagnon sont cousins. La combine fonctionne et les deux hommes tombent amoureux en même temps qu’ils deviennent parents. Mais quand le patron de Paul découvre que son protégé est homosexuel et qu’il ne le connaît pas autant qu’il le pensait, il appelle les services sociaux. Début d’une longue bataille juridique…

my two daddies film

A l’origine, un fait réel puis un scénario écrit à la fin des années 1970 et qui n’avait jusqu’alors pas trouvé preneur. Travis Fine, réalisateur hétéro marqué par son divorce et sa séparation avec sa fille, a été bouleversé par la découverte du script d’Any day now (renommé My Two Daddies en France), qu’il s’est alors mis en tête de réaliser. Le film fait le tour des festivals en 2014, remportant de nombreux prix au passage, alors que les débats sur le mariage et les droits des gays suscitent des réactions souvent violentes et cruelles.

Plus qu’une histoire d’amour improbable entre un artiste se travestissant à l’occasion, exubérant, et un avocat un brin taciturne et n’assumant pas vraiment son homosexualité, ce long-métrage est le récit d’une merveilleuse rencontre à trois, de deux hommes qui découvrent  les joies de la paternité. C’est grâce au jeune handicapé mental Marco que la relation entre les deux amants se transforme en quelque chose de sérieux, d’adulte, de concret. Pour sauver et éduquer cet adolescent dont personne, y compris sa mère, ne veut, ils forment du jour au lendemain une famille improvisée, un couple stable. Travis Fine filme avec beaucoup d’amour et de délicatesse ceux que l’on désigne comme des marginaux alors qu’ils n’ont rien demandé à personne. La reconstitution des années 1970 est bluffante malgré un budget à l’évidence assez modeste. La magie est là : regards complices de deux amoureux qui n’en reviennent pas de s’être trouvés, de deux hommes qui ne pensaient pas pouvoir être pères ensemble, les larmes d’un enfant qui pour la première fois trouve un foyer chaleureux où il n’a pas à s’excuser d’être lui-même.

Si le film a tout pour faire pleurer à chaudes larmes, c’est étrangement dans ses moments les plus lumineux qu’il bouleverse. Car on a terriblement envie d’y croire, car voir cette petite famille ,que certains qualifieraient de « dégénérée », savourer le bonheur du quotidien relève du rêve éveillé, car on sent que la réalité va reprendre le dessus et que ce ne sera pas joli à regarder. Les services sociaux reviennent à la charge, Donatello et Paul tentent de se défendre mais le climat homophobe à peine masqué de la société de l’époque ne leur laisse que peu de chances de sortir vainqueurs. On prive à la fois deux hommes du bonheur d’être père mais on enlève surtout à un ado les deux seules personnes qui lui ont donné l’amour et le soutien dont il avait besoin pour affronter un rude quotidien.

Si le scénario passe de la tendresse, des moments rigolos, au drame, aux failles de la justice, la mise en scène a ,notamment sur la fin, tendance à s’alourdir un peu, prenant des allures de mélo lacrymal pas toujours très subtil. Mais cette histoire prend aux tripes. On sent que le réalisateur y a mis tout son coeur et il est grandement aidé par une très belle bande-originale ainsi que par des acteurs extraordinaires (dans le rôle de Rudy, Alan Cumming est absolument renversant). L’image de l’ado handicapé traînant sa solitude la nuit avec dans les bras sa poupée ne manque pas de hanter ainsi que l’issue cruelle de ce qu’on aurait espéré être une belle histoire. Pas de réconfort ici, Any day now est plutôt une œuvre qui donne envie de se battre encore et toujours contre les préjugés et les injustices d’un système qui a trop tendance à laisser l’humain sur le bord de la route. Généreux et intense, ce film indépendant finit donc bien par séduire, émouvoir, et marque intimement.

Film sorti 2015 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3