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NOIR ET BLANC de Claire Devers : massages et douleur

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Antoine (Francis Frappat) est un comptable à priori ordinaire si ce n’est qu’il est assez réservé. Il occupe son temps libre en participant sans grande passion à une chorale et vit avec sa compagne Edith (Joséphine Fresson). Un jour, son cabinet d’expertise l’envoi en mission dans un centre sportif. Nouvel univers, nouveau secteur en pleine expansion. Piscine, sauna, machines de musculation : les gens viennent pour sculpter leur corps, évacuer. Ils peuvent aussi se détendre avec un service de massage. Antoine se met rapidement au boulot et son côté consciencieux plait au patron des lieux.

Mais, petit à petit, le comptable se rend compte de la différence qu’il y a entre lui et son corps chétif et ces entraîneurs et sportifs qui peuplent le centre. Il teste un appareil de musculation sans grand succès, puis décompresse après une journée de travail avec un massage. Le masseur s’appelle Dominique (Jacques Martial) et est à peu de choses près son total opposé : noir, très musclé, viril. Le massage est intense, voire un peu agressif. Pour Antoine, c’est une révélation, comme si son corps se réveillait. Les mains et les petites tapes de Dominique lui donnent un plaisir qui le pousse à gémir. Il va alors prendre goût à ces séances  et tisser avec son masseur une relation pour le moins particulière.

En effet, Dominique va être de plus en plus violent avec lui, au point de le blesser. La douleur ne semble pas poser problème à Antoine, bien au contraire. Il se découvre comme masochiste et pourrait bien aller de plus en plus loin…

noir et blanc film claire devers

Caméra d’or au Festival de Cannes en 1986, Noir et Blanc est un film choc. Il y règne une atmosphère particulière et oppressante dont on a beaucoup de mal à se remettre après sa vision. Claire Devers nous place dans une position de voyeur, nous sommes spectateurs de cette relation atypique et tordue qui unit deux hommes qui n’ont probablement rien en commun. Le masseur noir prend du plaisir dans le sadisme, le comptable blanc aime se faire malmener et ressentir la douleur pendant et surtout après les séances (il avouera aimer la sensation qu’il a en effleurant ses bleus, ses blessures). Ces deux hommes sont-ils gays ? Pas forcément. On ne peut pas du tout parler d’une passion charnelle, encore moins d’une histoire d’amour. Ils sont simplement deux personnes qui ont trouvé du plaisir dans une pratique tabou, extrême, dangereuse.

Le scénario est une adaptation d’une nouvelle de Tennessee Williams, Le boxeur Manchot. Mais ici ce que l’on retient c’est avant tout la mise en scène. Longs couloirs et passages du club sportif, motifs représentant l’enfermement, jeu sur les contrastes et surtout une façon de mettre en scène la violence particulièrement habile. Les massages, sensoriels, presque sensuels, deviennent brutaux, effrayants. Les coups seront majoritairement suggérés, on entendra le bruit mais la caméra filmera des passages vides, des éléments du décor. Troublante sensation que d’entendre le bruit des claques, des poings et les gémissement entre agonie et plaisir d’Antoine.

Comme le titre de l’œuvre l’indique, Claire Devers joue ici avec les oppositions. Antoine, blanc. Dominique, noir. Le masochiste et le sadique. La vie d’expert comptable et de compagnon introverti et les séances de massages SM. Mais s’il y a des oppositions, il ne faudrait surtout pas passer à côté du « et » du titre. Car ici il n’y a pas de noir OU blanc, c’est noir ET blanc. Le personnage d’Antoine illustre cette ambivalence, démontre qu’un homme ordinaire peut avoir en lui des envies extrêmes. Mais pour cet individu qui a toujours tout gardé en lui, qui ne s’est jamais imposé, qui a trop vécu comme un fantôme, la découverte du plaisir dans la douleur ne pourra se faire avec retenue. Il lui en faut toujours plus, il veut aller de plus en plus loin dans la souffrance. Comme si les coups lui rappelaient qu’il était encore parmi les vivants.

L’issue sera tragique (une scène de fin tout bonnement monstrueuse bien qu’amenée avec une incroyable subtilité). Noir et Blanc est au final l’histoire d’une révélation. Révélation terrifiante puisqu’elle poussera à la totale destruction. La réalisatrice livre un long-métrage oppressant, inquiétant, constamment intrigant. Un portrait sombre, sans psychologie de bazar, d’un homme qui découvre sa part obscure. C’est brutal, inoubliable et dérangeant. A ne pas mettre entre toutes les mains.

Film sorti en 1986. Reprise en salles à Paris le 8 février 2023.

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3